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Dernières confidences avant de quitter le Palais fédéral

Une cinquantaine de parlementaires ont décidé de ne pas se représenter aux élections fédérales du 20 octobre prochain. Pourquoi ces personnes partent-elles? Que retiennent-elles de leur expérience sous la Coupole? Huit élus romands témoignent.

Alors qu'une majorité de parlementaires fédéraux tremblent encore pour leur réélection le 20 octobre, quarante-huit élus ont décidé de ne pas se représenter. Pour la seule Suisse romande, dix-sept parlementaires ont décidé de ne pas briguer un nouveau mandat cet automne.

Huit d'entre eux - représentants des cinq plus grands partis de Suisse - ont accepté de se dévoiler devant notre caméra. Ils évoquent leurs débuts dans la Berne fédérale, se remémorent leurs succès et leurs échecs, révèlent leurs projets futurs et livrent leur analyse sur l'évolution politique du pays. Ils lèvent aussi le voile sur les coulisses du Palais fédéral et sur certains aspects moins connus de la vie d'un élu.

Partir pour retrouver une vie privée

"Vingt ans que je fais de la politique, pour moi ça suffit": la conseillère nationale vaudoise Alice Glauser, qui aura 65 ans deux jours avant les élections, ne cache pas sa joie de passer bientôt à une nouvelle étape de sa vie. Comme la plupart des parlementaires qui se retirent, cette figure de l'aile paysanne de l'UDC, mère de quatre enfants, aspire désormais à passer davantage de temps auprès de sa famille. "J’ai beaucoup de petits-enfants qui vivent à proximité de ma maison. J’ai envie de les voir grandir", dit-elle.

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"J'ai envie de changer de rythme de vie, de retrouver de la disponibilité pour ma famille", glisse le député socialiste neuchâtelois Jacques-André Maire, 62 ans, père de trois enfants. Hormis ce besoin, largement partagé, de regagner leur vie privée, les élus qui quittent la Berne fédérale entendent consacrer davantage de temps à leurs loisirs. "J’aurai plus de temps pour lire autre chose que des rapports et des messages du Conseil fédéral", se réjouit la conseillère aux Etats jurassienne Anne Seydoux-Christe, 61 ans.

Avec le temps, on s’use, on rabâche. C’était le moment de partir.

Robert Cramer (Verts/GE)

Si les parlementaires s'en vont, c'est aussi pour encourager la relève, affirment-ils souvent. Même le plus jeune Romand à ne pas briguer de nouveau mandat, le PLR neuchâtelois Raphaël Comte (40 ans), invoque le "renouvellement de la vie politique". Même impression pour l'écologiste genevois Robert Cramer (65 ans): "Je ne pense pas que j’aurais amené beaucoup plus en restant encore quatre ans. Peut-être même aurais-je amené moins parce que, avec le temps, on s’use, on rabâche. Enfin, c’était le moment de partir."

>> L'émotion au moment de quitter le Palais, le reportage dans le 12h30 :

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Un souvenir, une fierté

"Mon pire souvenir, c'est sûrement l'élection de Christoph Blocher (au Conseil fédéral en 2003, ndlr), qui s'est transformée en défaite quatre ans plus tard", estime le sénateur Didier Berberat (PS/NE), 62 ans, qui siège sous la Coupole fédérale depuis 1995. Pour Alice Glauser, c'est à l'inverse l'éviction du tribun UDC du gouvernement qui représente le pire souvenir de sa carrière politique.

Au moment de quitter le Parlement après 16 ans au Conseil national, Dominique de Buman, 63 ans, se dit fier "d'être resté lui-même et de pouvoir regarder les gens en face". "Je n'ai pas dû faire de compromissions honteuses. Et ça, je crois que c'est peut-être le plus grand succès dans un Parlement de milice tel que le nôtre", note le PDC fribourgeois. Une "indépendance d'esprit" dont se revendique également sa collègue de parti Anne Seydoux-Christe.

"Ce dont je suis le plus fier n'est pas très sexy. C'est toute la problématique de la péréquation financière et les redevances hydrauliques. Ce sont les gros dossiers qui pèsent financièrement très lourd pour le canton du Valais que je représente", explique quant à lui Jean-René Fournier (PDC/VS), président du Conseil des Etats. Un pire souvenir? "Oui, j'en ai un, dit-il. C'est le débat final sur la LAT (Loi sur l'aménagement du territoire, ndlr.)."

La polarisation, bouleversement majeur

"Durcissement des fronts", "dérive institutionnelle", "moins de place pour les compromis": les mots choisis pour décrire le phénomène diffèrent, mais nombreux sont les élus à partager la même analyse quant à l'évolution du travail législatif sous la Coupole fédérale. Tous ou presque constatent, et déplorent, la polarisation de la vie politique helvétique.

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sortants-evol-polit / L'actu en vidéo / 4 min. / le 27 septembre 2019

"Il y a quelque chose de décisif qui s'est passé ces dernières années, c'est la montée en puissance de l'UDC. Ca s'est accompagné par une façon de faire de la politique qui est totalement différente", relève Robert Cramer. "Les élus ne sont plus libres de voter en dehors de la ligne de leur groupe", regrette Jacques-André Maire. "On le sent particulièrement au Conseil national", ajoute le sénateur Raphaël Comte.

Pour Anne Seydoux-Christe, cette discipline de blocs a progressivement gagné en importance à la suite de l'effritement du bloc du centre au cours des deux dernières législatures. La sénatrice démocrate-chrétienne s'inquiète du fait qu'il y ait désormais moins de place pour le compromis au sein du Parlement. "C'est n'est pas bon pour notre système politique", juge la conseillère aux Etats jurassienne.

Autre explication avancée par Dominique de Buman: la globalisation. "La Suisse s'est retrouvée confrontée à des défis mondiaux. Quand les gens commencent à avoir peur, c'est là que les populismes commencent à avoir une certaine prise. Et cette situation plus tendue polarise la vie politique", analyse le conseiller national fribourgeois.

Des lois de plus en plus complexes

Parallèlement, le travail législatif s'est également fortement compliqué. "Les sujets sont devenus très pointus. Il faut vraiment prendre du temps pour les approfondir. Il faudrait même parfois être juriste", affirme l'UDC vaudoise Alice Glauser. Au début de son deuxième mandat, elle s'est d'ailleurs entourée d'un spécialiste du droit, explique-t-elle. "Les dossiers sont devenus de plus en plus lourds, les lois se sont très fortement étoffées. Cela pose un problème de motivation au niveau des collectivités communales et cantonale", analyse Jean-René Fournier.

Certaines lois dépassent le niveau moyen de compétence d'un parlementaire. Il faut avoir l'honnêteté de le dire.

Dominique de Buman (PDC/FR)

"Nous sommes un Parlement de milice", rappelle pour sa part Dominique de Buman. "Vous avez de plus en plus de spécialistes ou de lobbyistes qui cherchent à vous influencer, mais dont vous avez aussi besoin parce que certaines lois dépassent le niveau moyen de compétence d'un parlementaire. Il faut avoir l'honnêteté de le dire", indique-t-il.

Entre élus, un esprit de camaraderie

Les débats sont souvent passionnés au Parlement. Mais une fois sortis de la salle, les ennemis politiques deviennent parfois des camarades. "Roland Eberle est UDC, il est Thurgovien, donc à l'opposé géographique de Genève et politique des idées que je défends. Et pourtant, nous avons une excellente relation et quelques points communs", note l'écologiste Robert Cramer. "Vous pouvez très bien aller boire quelque chose, ça ne veut pas dire qu'on est en train de faire une combinazione... J'ai des amis dans tous les partis", ajoute Didier Berberat.

Les élus se retrouvent souvent dans les lieux de vie du Palais fédéral. "La cafétéria est un endroit de rencontre. C'est là aussi qu'on tisse certaines alliances", avance le Neuchâtelois Jacques-André Maire. En tant que fumeur de pipe, son collègue socialiste Didier Berberat confie quant à lui être particulièrement attaché au fumoir. Et les rencontres se terminent parfois très tard dans les bistrots de la capitale: "Avec mon ami Luc Recordon, nous terminions nos soirées à fumer un cigare ou à boire un whisky", se rappelle le Genevois Robert Cramer.

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sortants-coulisses / L'actu en vidéo / 2 min. / le 27 septembre 2019

Ce vendredi, au terme de la session d'automne, Alice Glauser, Anne Seydoux-Christe, Dominique de Buman, Didier Berberat, Jacques-André Maire, Jean-René Fournier, Raphaël Comte et Robert Cramer ont dit adieu à leurs collègues, comme des dizaines d'autres parlementaires qui ne briguent pas de nouveau mandat lors des élections fédérales du 20 octobre. Mais pour profiter pleinement de leur retraite politique, ils devront encore attendre le 1er décembre, fin officielle de cette 50e législature.

>> Le sujet du 19h30 :

Pour des dizaines de parlementaires, le temps des adieux est venu
Pour des dizaines de parlementaires, le temps des adieux est venu / 19h30 / 2 min. / le 26 septembre 2019

Mathieu Henderson et Didier Kottelat

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Les députés au National qui ont décidé de ne pas se représenter

UDC: Adrian Amstutz (BE), Beat Arnold (UR), Raymond Clottu (indépendant ex-UDC/NE), Hans Egloff (ZH), Sylvia Flückiger (AG), Ulrich Giezendanner (AG), Alice Glauser (VD), Markus Hausammann (TG). Luzi Stamm (AG) et Maximilian Reimann (AG) ne courront pas pour l'UDC cet automne, mais le premier se représente sur sa propre liste et le second sur une liste hors parti réservée aux seniors.

PS: Margret Kiener Nellen (BE), Bea Heim (SO), Jacques-André Maire (NE), Silva Semadeni (GR), Silvia Schenker (BS) et Manuel Tornare (GE).

PLR: Fathi Derder (VD), Corina Eichenberger (AG), Benoît Genecand (GE), Giovanni Merlini (TI), Walter Müller (SG) et Bruno Pezzatti (ZG).

PDC: Guillaume Barazzone (GE), Dominique de Buman (FR), Géraldine Marchand-Balet (VS) et Karl Vogler (PCS/OW).

PVL: Thomas Weibel (ZH) et Daniel Frei (ZH).