Deux ans de prison avec un sursis de cinq ans, c'est la peine prononcée lundi pour le médecin généraliste vaudois reconnu coupable du meurtre de sa patiente de 86 ans. Une sentence clémente, car la cour a reconnu qu'il avait agit "pour des motifs honorables", bien qu'il ait violé la loi interdisant l'euthanasie active.
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Pierre-Yves Rodondi, professeur au Département de la santé communautaire à l'Université de Fribourg, se dit rassuré par le verdict, avec toutefois un bémol: "Je suis profondément choqué par la culpabilité de meurtre qui a été prononcée. Cela reste une situation que nous vivons fréquemment comme médecin à domicile dans des situations de fin de vie. Parfois, je me demande s'il y en aura un prochain sur la liste qui va vivre ce genre de situation. Et ça, c'est un gros problème."
Il y a des situations où la souffrance est insupportable
Le praticien relève que lorsqu'une fin de vie douloureuse se dessine, les patients ne se préoccupent pas de savoir si le geste de leur médecin de famille est légal ou non: "Ils nous demandent de faire le mieux possible pour abréger leurs souffrances. Cette question de la souffrance, elle est au centre de la fin de vie. Bien sûr, nous devons respecter le cadre légal: c'est fondamental et j'y tiens particulièrement dans l'exercice de ma profession et mes collègues aussi. Mais il y a des situations où la souffrance est insupportable et nous devons trouver comment aider nos patients. Et là-dedans, on est dans un cadre qui est effectivement plus difficile."
Je sais que je suis dans l'illégalité: j'en suis parfaitement conscient. Mais je sais pourquoi je le fais
Pierre-Yves Rodondi explique avoir lui aussi aidé des patients à mourir: "Oui, cela m'est arrivé, effectivement. Comme d'autres collègues, il m'est arrivé de presser plus fort sur la seringue... mais parce que ce n'était pas possible de faire autrement. Je sais que je suis dans l'illégalité, j'en suis parfaitement conscient, mais je sais pourquoi je le fais. D'abord, je le fais toujours en accord avec la famille, systématiquement. Je n'ai jamais utilisé une substance sans que la famille soit au courant ou sans que ça n'ait été discuté avec le patient auparavant, par exemple dans une situation où on aurait pu en discuter".
Il explique qu'avec la médiatisation du procès de son confrère, des patients l'ont interpellé dans sa consultation: "Ils m'ont dit: 'Est-ce que vous pouvez continuer de me promettre ce que vous m'avez toujours promis à savoir que le jour où je n'en pourrai plus, vous serez prêt à presser plus fort sur la seringue?' Je leur ai rappelé que, oui, j'étais prêt à le faire, mais toujours selon un cadre qui doit être le plus rigoureux possible dans notre profession".
Mieux réfléchir à la fin de vie
Le médecin est conscient de prendre un risque, mais pour lui la discussion doit continuer. Il insiste au micro de La Matinale: "Si ce jugement s'arrête là et qu'il n'y a pas de réflexion par la suite, on entre dans une situation qui est totalement inadéquate. On doit pouvoir avoir une réflexion là autour: ce n'est pas possible autrement. Il ne faut juste pas oublier que c'est très bien que les médecins s'occupent de cette question-là, que les juges et les procureurs s'en préoccupent aussi, mais c'est une question de population. Il faut rappeler aux auditeurs qu'on va tous mourir un jour et que c'est une question qui nous concernent absolument tous."
Pour lui, que le patient soit en fin de vie à la maison ou à l'hôpital ne change pas la problématique: "Je me souviens, au début de ma carrière, j'ai vécu la situation d'une patiente avec un œdème pulmonaire – similaire au cas qui est arrivé à mon confrère. Elle avait énormément de mal à respirer; on voyait son angoisse extrêmement forte sur sa tête, la famille autour très angoissée et qui me demandait: 'Faites quelque chose'. Mon chef m'a dit: 'Ecoute, on ne peut pas, parce qu'on va faire de l'euthanasie si on met des doses fortes'... donc on allait la regarder pendant six heures agoniser. Et là, je me suis dit 'Ça, je ne peux pas laisser'. Heureusement, les choses ont changé dans les hôpitaux aussi, bien évidemment. Mais ce sont des situations qui sont insupportables: je crois qu'il n'y a personne qui souhaite cela".
Convoquer des Assises de la mort
Pierre-Yves Rodondi estime que que l'association Exit a ouvert beaucoup de portes par rapport au questionnement autour de la fin de vie: "Mais au fond, il y a quand même un certain nombre de situations où c'est nous, les médecins généralistes, au front, qui allons aider nos patients: si un patient a de la peine à respirer à trois heures du matin et qu'il est clair qu'il va décéder, on ne va pas lui dire: 'Ecoutez, on va faire une demande à Exit et ils vont venir dans deux-trois semaines'... il faut pouvoir s'en occuper tout de suite".
"La première chose qu'il faut, c'est faire des assises de la mort, comme l'a proposé dans son postulat Madame Léonore Porchet (lire encadré): c'est vraiment un élément important. Il faut qu'il y ait une réflexion qui concerne l'ensemble de la population: qu'elle puisse s'exprimer. Qu'on puisse en parler et qu'on puisse avoir ensuite des réflexions là autour. Probablement que cette situation qui s'est passée avec mon confrère nécessite peut-être de redéfinir certains éléments de ce qu'on peut faire de ce qu'on ne peut pas faire; ce qui nous permet d'être dans un cadre légal, mais qui doit aussi correspondre à ce que la population souhaite. Cet élément est vraiment fondamental", conclut-il.
Interview radio: Romaine Morard
Adaptation web: Stéphanie Jaquet
Postulat "La mort c'est tabou, on en viendra à bout"
Le texte déposé par la verte Léonore Porchet et consort le 5 décembre 2018 est passé en commission: "Il a été accepté à l'unanimité", a affirmé l'élue du Grand Conseil vaudois à RTSinfo.
Désormais, le postulat doit être discuté en plénum, puis renvoyé au Conseil d'Etat.
Palliatif Vaud a déjà décidé de s'impliquer dans l'organisation des Assises de la mort proposées par Léonore Porchet. Cette dernière dit avoir bon espoir qu'elles aient lieu en 2020.