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"Le fatalisme, option interdite en gestion des risques naturels"

La préparation de la Suisse aux catastrophes naturelles: interview de Denis Froidevaux (vidéo)
La préparation de la Suisse aux catastrophes naturelles: interview de Denis Froidevaux (vidéo) / La Matinale / 6 min. / le 24 octobre 2019
Les catastrophes naturelles vont se multiplier en Suisse, en raison du réchauffement climatique. Cantons et Confédération doivent investir massivement dans la prévention, estime le responsable vaudois de la sécurité civile et militaire Denis Froidevaux.

Le glissement de terrain survenu en août dernier à Chamoson (VS), les pluies exceptionnelles qui sévissent actuellement au Tessin ou les épisodes de canicule et de sécheresse intenses qui se répètent: la Suisse est-elle préparée à faire face à des drames plus importants à l'avenir? Pour y répondre, l’Office fédéral de la protection de la population organise mercredi et jeudi à Montreux sa Conférence de la protection de la population (CPP), qui se tient chaque année (lire encadré).

Chef du Service de la sécurité civile et militaire du canton de Vaud, Denis Froidevaux rappelle jeudi dans La Matinale que ces risques et dangers naturels s'ajoutent aux autres risques auxquels la société est confrontée - technologiques, sociétaux. "Et c'est clair qu'on assiste depuis un certain nombre d'années à une augmentation de la fréquence de ces événements particuliers, qui posent des problèmes aux autorités et qui doivent faire l'objet d'une réponse aussi professionnelle et efficace que possible", rappelle-t-il.

Il faut vraiment avoir la volonté d'y faire face, prendre toutes les mesures en matière de prévention.

Denis Froidevaux

Et si ce spécialiste estime que - dans l'ensemble - la réponse des cantons à ces événements est suffisante, il souligne qu'il ne faut pas faire preuve de fatalisme en matière de gestion des risques. "C'est une option totalement interdite", souligne Denis Froidevaux. "Donc il faut vraiment avoir la volonté d'y faire face, prendre toutes les mesures en matière de prévention et disposer évidemment de l'organisation et des ressources nécessaires pour faire face au moment où l'événement survient."

Et si cantons et Confédération n'ont quasiment aucune influence sur les phénomènes climatiques, l'adaptation aux changements climatiques fait désormais l'objet d'un axe prioritaire dans les domaines de la gestion des risques, de la biodiversité ou de l'agriculture, rappelle le chef du Service de la sécurité civile et militaire du canton de Vaud.

"Des événements plus fréquents et plus intenses"

Un autre axe, précise-t-il, "c'est évidemment la réduction des émissions de CO2 avec un horizon zéro carbone en 2050. Dans l'intervalle, et d'ici que ces mesures de réduction carbone prennent leurs effets, il va falloir se préparer et faire face à des événements qui - je pense - vont devenir de plus en plus fréquents et toujours plus intenses."

Et parmi les dangers naturels qui menacent particulièrement la Suisse aujourd'hui, Denis Froidevaux cite les périodes de canicule avec déficit de pluviométrie, les laves torrentielles, le dégel du permafrost qui met en danger les infrastructures importantes de montagne ou les incendies majeurs de forêts, "un gros souci aujourd'hui." Mais ce responsable en matière de sécurité relève surtout "tous les événements liés aux inondations, aux élévations des niveaux des cours d'eau aussi brutaux que ceux qu'on a connus dans l'exemple de Chamoson."

Il faut consacrer des moyens si on veut pouvoir prendre les mesures de prévention.

Denis Froidevaux

A propos de ces événements survenus en août dernier en Valais, Denis Froidevaux refuse de polémiquer: "Il ne m'appartient pas de juger si le canton était préparé de manière optimale", dit-il. "En matière de gestion des risques, on finit toujours par polémiquer: est-ce qu'on en a trop fait, est-ce qu'on n'en a pas fait assez, est-ce que les mesures étaient suffisamment déployées, est-ce que les systèmes étaient en place? Il faut analyser chaque situation pour pouvoir dire 'oui, on en a fait assez ou non il y avait des lacunes, des trous dans la raquette'. Le problème, c'est qu'il faut consacrer des moyens, des ressources financières, si on veut pouvoir prendre les mesures de prévention, d'observation."

Et sur ce terrain de la prévention, celui qui est également chef de l'Etat major cantonal de conduite (EMCC) vaudois cite en exemple les Grisons, "qui sont très avancés dans ce domaine-là, et qui ont vraiment une stratégie de réduction des risques et dangers naturels qui est payante" même si elle n'enlève évidemment pas des événements comme ceux de Bondo.

Denis Froidevaux pense que "c'est vraiment une question de volontarisme et de ressources financières à mettre à disposition", avec des enjeux qu'il chiffre à plusieurs milliards de francs dans les 20 à 30 prochaines années, tant au niveau des cantons que de la Confédération: "Je ne pense pas que la Confédération puisse considérer que ce n'est l'affaire que des cantons. Il va bien falloir à un moment donné que la Confédération mette aussi la main au porte-monnaie."

Appel à des politiques "cohérentes"

Le nouveau Parlement fédéral élu dimanche dernier, plus vert, plus féminin, plus jeune, est-il porteur d'espoir sur ces questions? "Ce que j'espère surtout", souligne Denis Froidevaux, "c'est qu'il y ait une prise de conscience de l'existence de ces risques, mais qui ne chasse pas les autres risques existants, qu'on va pouvoir entreprendre des politiques cohérentes entres les échelons fédéraux, cantonaux et communaux, et qu'on va pouvoir faire des projets intégrés avec une stratégie et une politique d'investissement crédibles."

Propos recueillis par Valérie Hauert/oang

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L'armée, appui "indispensable"

Pour Denis Froidevaux, l'armée est indispensable face aux dangers naturels. "C'est la seule réserve stratégique dont on dispose dans le pays", rappelle-t-il.

Mais ce responsable en matière de sécurité civile et militaire ne cache pas sa préoccupation: "l'armée a été divisée par quatre, voire par cinq, ces dernières années et aujourd'hui on ne dispose plus que de ressources très limitées en matière d'aide en cas de catastrophe, ce qui - personnellement - m'inquiète énormément. Dès l'instant où il s'agirait de faire un effort principal quelque part en Suisse, on pourrait le faire, mais s'il faut le faire sur deux secteurs en Suisse, nous n'avons plus les ressources."

Assurer la coordination fédérale

La Conférence de la protection de la population (CPP) a été mise en place par l’Office fédéral de la protection de la population (OFPP) en 2004 afin d’assurer la coordination et l’échange d’informations dans ce domaine.

Elle réunit chaque année des responsables et des experts des organes cantonaux compétents et des organisations partenaires de la protection de la population. La CPP joue le rôle de plate-forme nationale de coordination entre les différentes organisations.

Pour refléter la structure fédérale de la protection de la population, l’OFPP organise la CPP dans différents lieux, chaque fois en étroite collaboration avec le canton hôte.