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La garde d'un enfant malade, le casse-tête des parents au travail

La garde d'un enfant malade, le casse-tête des parents au travail
La garde d'un enfant malade, le casse-tête des parents au travail / L'actu en vidéo / 5 min. / le 6 janvier 2020
L'hiver est là, et avec lui débarquent rhumes, grippes et autres virus. Cible privilégiée des microbes: les enfants. S'occuper d'eux, lorsqu'on travaille, relève parfois du casse-tête. A cet égard, les employés de la fonction publique ne sont pas forcément les mieux lotis, bien au contraire.

Vous êtes au travail et la crèche vous appelle: "Votre fils est malade, il faut venir le chercher tout de suite." Après une nuit agitée, votre fille se réveille avec 39,5°C de fièvre; impossible de l'amener à l'école. Votre enfant a la varicelle et vous ne disposez d'aucune solution de garde. Comment s'arranger avec votre employeur? Avez-vous le droit de rester ou de rentrer à la maison? Serez-vous payé durant votre absence?

Ce genre de situation, tous les parents qui travaillent l'ont vécu au moins une fois. Et les réponses à ces questions sont complexes. Le droit n'est pas le même que l'on soit employé dans le privé ou dans le public. Les exceptions, par ailleurs, sont nombreuses. Et c'est compter sans les entreprises qui jouent avec les finesses de la loi, l'interprètent de manière restrictive, voire ignorent leurs obligations, comme le montre notre enquête.

Dans le public, c'est la jungle

Résumée à sa plus simple expression, la règle générale – qui découle de la loi fédérale sur le travail – veut que les travailleurs du secteur privé puissent prendre jusqu'à trois jours de congé par cas de maladie, intégralement payés, pour s'occuper d'un enfant (voir le premier encadré). Cette norme ne s'impose pas aux administrations publiques. Régies par le droit public, celles-ci sont en effet spécifiquement exclues du champ d'application de la loi sur le travail.

Alors qu'en est-il des employés du public? Dans ce secteur, c'est un peu la jungle… Chaque entité administrative dispose de son propre règlement, avec ses dispositions particulières, ses exceptions et ses omissions. Pour y voir plus clair, nous avons donc demandé à la Confédération, à l'ensemble des cantons romands ainsi qu'aux deux plus grandes villes de ces cantons quelle était leur politique en matière de congé pour la garde d'un enfant malade.

Tout le monde devrait avoir le droit de pouvoir s'occuper de son enfant, peu importe si on a des ressources externes ou pas.

Adélaïde, employée à la Ville de La Chaux-de-Fonds

Principal enseignement: fréquemment, les employés de la fonction publique sont nettement moins bien lotis que les travailleurs protégés par la loi sur le travail. Un constat qui brise certaines idées reçues, qui voudraient que les conditions sociales du secteur public soient systématiquement plus avantageuses que celles du privé. Or, ce n'est pas - ou plus - toujours le cas, relève amèrement Beatriz Rosende, secrétaire centrale au Syndicat des services publics (SSP). "Les questions concernant la garde d'un enfant malade reviennent extrêmement souvent", confie-t-elle.

Dans le détail, la Confédération fait figure de bonne élève. Elle se cale sur le droit privé et accorde à ses employés trois jours de congé payé par cas de maladie. Du côté des cantons, tous, sauf Neuchâtel, fixent un nombre maximum de jours d'absence par année. Les plus restrictifs sont Vaud, Fribourg, Berne et le Jura (5 à 6 jours de congé annuels maximum). A l'opposé, l'Etat de Genève – le plus généreux – accorde jusqu'à 15 jours par an.

Le bonnet d'âne aux communes

Mais c'est surtout les employés des communes qui sont prétérités. La Ville de Martigny accorde à ses collaborateurs "le temps de trouver une solution de garde, en principe une demi-journée". A Sion, La Chaux-de-Fonds et Vernier, c'est trois jours par an maximum. Yverdon-les-Bains et Neuchâtel, elles, ne comptent aucune disposition pour régler ce type de cas. Dans ces deux villes, un nouveau statut du personnel est en cours d'élaboration et intégrera cette problématique.

Pour l'heure, à Yverdon, "les collaborateurs dont l'enfant est malade peuvent rester à la maison le temps de trouver une solution de garde, (mais) leurs heures doivent être compensées". A Neuchâtel, un congé spécial peut être accordé sur demande au conseiller communal (exécutif), explique-t-on. Il nous a cependant été impossible de savoir si cette procédure lourde et complexe est souvent utilisée. Dans certains services, des instructions excluant expressément tout congé payé sont d'ailleurs données.

Le droit de pouvoir s'occuper de son enfant

"On ne me laisse pas exercer mon rôle de maman", regrette Adélaïde*, employée à la Ville de La Chaux-de-Fonds. Cette jeune mère de famille a accepté de témoigner de manière anonyme, craignant d'éventuelles représailles de son employeur. Au début 2019, elle a dû quitter son poste en pleine journée pour aller récupérer son enfant malade, puis est restée à la maison les deux jours suivants. "Quand j'ai communiqué ça aux ressources humaines, ils m'ont octroyé un congé payé d'un jour seulement. Les deux autres jours ont été pris sur mes heures", raconte-t-elle.

Si j'étais maman célibataire sans aucun entourage et que mon fils tombait facilement malade, je devrais m'absenter souvent de mon travail. Alors comment faire? Je ne sais pas...

Adélaïde, employée à la Ville de La Chaux-de-Fonds

L'absence doit revêtir un caractère d'urgence et il aurait fallu s'arranger pour une prise en charge par quelqu'un d'autre, argumente la Ville pour justifier sa décision. "Mais qui sont-ils pour déterminer la mesure d'urgence? Et ils ne connaissent pas ma situation privée", déclare Adélaïde. Après négociations, la Ville lui accordera finalement les trois jours de congé, en précisant bien qu'elle avait désormais utilisé son quota annuel. "C'était dans la première partie de l'année. Après, j'avais juste à espérer que mon enfant ne soit pas malade le reste de l'année."

"Pour ma part, j'ai la chance d'être entourée. Mais tout le monde n'a pas un papa dans la course, une famille présente dans la même ville et qui est disponible. Si j'étais maman célibataire sans aucun entourage et que mon fils tombait facilement malade, je devrais m'absenter souvent de mon travail. Alors comment faire? Je ne sais pas... Tout le monde devrait avoir le droit de pouvoir s'occuper de son enfant, peu importe si on a des ressources externes ou pas", conclut la jeune mère de famille.

Une question d'égalité hommes-femmes

A Neuchâtel comme ailleurs en Suisse romande, les syndicats luttent pour que les employés du public bénéficient du même traitement que ceux du privé. "Qu'on soit soumis au droit public ou au droit privé, le devoir de protection envers les enfants est finalement le même", lance Léa Ziegler, secrétaire syndicale au SSP Neuchâtel. Et d'insister sur les difficultés supplémentaires vécues par les familles nombreuses: "Il faut un nombre de jours de congé octroyés par cas de maladie par enfant. C'est hyper important."

Certains employés s'entendent dire "Ton enfant est malade et tu ne peux pas venir travailler? Demande à ta femme..."

Léa Ziegler, secrétaire syndicale au SSP Neuchâtel

Il s'agit également d'une question d'égalité hommes-femmes, remarque le SSP, qui s'appuie sur l'élan de la grève des femmes du 14 juin. "On est encore un peu dans un schéma rétrograde où on avait l'habitude que les mamans soient à la maison pour s'occuper de la famille, des enfants", soupire Léa Ziegler. Et d'évoquer les pressions, menaces déguisées et autres petites remarques subies par les employés, notamment les hommes. "Ton enfant est malade et tu ne peux pas venir travailler? Demande à ta femme...", s'entendraient dire certains collaborateurs.

Mentir pour contourner le règlement?

La situation dans certaines administrations publiques pousse des employés à contourner le règlement et à se déclarer malades eux-mêmes, glisse la syndicaliste. Elle souligne également les coûts cachés en termes de santé publique: "Certains parents, faute de moyens, sont peut-être obligés de donner un petit comprimé à leur enfant pour qu'il puisse aller à la crèche ou en parascolaire. Il y a ensuite des risques concrets de propagation des maladies."

A La Chaux-de-Fonds, le Conseil communal n'est pas dupe: lorsqu'ils ont épuisé leurs congés, certains parents n'ont parfois pas d'autres choix que se mettre en arrêt maladie pour s'occuper de leur enfant. "Ce n'est pas une bonne solution de les inciter à nous tromper", admet Sylvia Morel. La conseillère communale PLR reconnaît que le règlement sur le personnel de la cité horlogère n'est plus adapté à son temps. "Ce texte date de 2008. Les choses ont vite évolué et il faudra bien qu'on le révise."

L'exemplarité du public, ou pas

Outre la question de la garde des enfants malades, l'idée est d'intégrer dans le nouveau règlement les réformes récentes en discussion au niveau fédéral, notamment en matière de congés de longue durée et de congé paternité. "On espère aboutir pendant l'année 2020", indique la directrice des Ressources humaines de La Chaux-de-Fonds. Pour elle, l'objectif n'est ainsi pas forcément de "montrer l'exemple", mais de proposer une réforme "équitable".

C’est important de relever que le Canton de Genève propose effectivement quinze jours, mais qu’on n’a pas d’abus.

Nathalie Fontanet, conseillère d'Etat genevoise

Du côté de l'Etat de Genève, en revanche, on prend à coeur ce "devoir d'exemplarité" des administrations publiques. "Le but, c'est de doter d'une politique des ressources humaines qui soit moderne, basée sur la confiance et la responsabilité. C'est aussi de faire en sorte qu'il y ait une meilleure égalité entre hommes et femmes, car on sait que ce sont souvent les femmes qui restent à la maison lorsqu'un proche est malade", indique la conseillère d'Etat Nathalie Fontanet.

Même si le Canton est particulièrement généreux, "c'est important de relever qu'il n'y a pas d'abus", signale, chiffres à l'appui, la cheffe du Département des finances et des ressources humaines:. "La plus grande partie des collaboratrices et collaborateurs utilisent un congé entre un et cinq jours. Seuls 150 des 18'000 employés de l'Etat utilisent les quinze jours complètement." Pour l'Etat, le coût annuel de cette mesure s'élève à deux millions de francs, expose la ministre libérale-radicale.

Des problèmes aussi dans le privé

On pourrait croire que les problèmes posés par la garde des enfants malades ne concernent que le secteur public. C'est pourtant loin d'être le cas: la protection de la loi sur le travail est en effet lacunaire et son champ d'application est diversement apprécié du côté des patrons ou des syndicats. Logiquement, les plaintes de parents qui peinent à concilier vie professionnelle et devoir d'entretien envers leurs enfants sont ainsi fréquentes, relèvent plusieurs responsables syndicaux.

La loi fédérale sur le travail stipule que les travailleurs ont droit à trois jours de congé pour s'occuper de leurs enfants. Mais ces trois jours s'entendent-ils par cas ou par année? C'est bien "par cas de maladie" que la règle s'applique, précise le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO). Cette lacune, néanmoins, est à l'origine d'une "querelle doctrinale" opposant les milieux pro-employés et pro-employeurs, note Célia Borlat, responsable du service juridique d'Unia Vaud.

La deuxième pomme de discorde concerne le maintien du salaire. A ce titre, plutôt que par mauvaise volonté, les entreprises pèchent surtout "par ignorance de leur obligation de payer les heures consacrées à la garde d'un enfant malade", affirme Célia Borlat. Selon son expérience, cette méconnaissance du droit se retrouve davantage dans les petites entreprises que dans les moyennes et grandes structures.

Un tiers des employés sans congé payé

Interrogée par la RTS, l'Union patronale suisse (USP) souligne que, "dans l'ensemble, (la question de la garde des enfants malades) ne suscite guère de problèmes pratiques pour les entreprises et des solutions satisfaisantes peuvent presque toujours être trouvées". L'association faîtière des patrons rejette cependant un élargissement du droit au congé pour les soins aux proches, actuellement en discussion au Parlement (voir le deuxième encadré).

Les grandes entreprises que nous avons contactées - parmi lesquelles Credit Suisse, UBS, Nestlé, Novartis, Swatch, mais aussi les entreprises parapubliques comme les CFF et La Poste - nous ont toutes assuré qu'elles se conformaient à la loi. Qu'en est-il des petites et moyennes entreprises? "Nous ne disposons d'aucune information fiable à ce sujet", nous a répondu leur faîtière, l'Union suisse des arts et métiers (USAM).

Selon une étude mandatée par l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), publiée en avril 2018 (pdf en allemand), 150'000 entreprises prévoient des congés payés pour les parents d'enfants malades, soit la moitié des entreprises du pays. Toutefois, selon cette estimation, un tiers des employés environ ne bénéficieraient d'aucun congé de courte durée payé pour s'occuper de leurs enfants.

>> Les précisions du 19h30 :

Garde d'enfants malades, le casse-tête des congés. Le secteur public est souvent moins généreux que le privé.
Garde d'enfants malades, le casse-tête des congés. Le secteur public est souvent moins généreux que le privé. / 19h30 / 3 min. / le 6 janvier 2020

Didier Kottelat avec Julien Guillaume

* prénom d'emprunt

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Le point sur la législation actuelle

Le droit au congé payé pour la garde d'un enfant est une question juridiquement complexe. Le principe général est pourtant simple. Sur son site, le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) le résume ainsi: "Sur présentation d'un certificat médical, l'employeur doit accorder au travailleur qui assume des obligations familiales le temps requis pour prendre soin de son enfant malade (jusqu'à trois jours, selon l'âge et l'état de santé de santé de l'enfant). Cette règle s'applique par cas de maladie." C'est l'article 36 alinéa 3 de la Loi fédérale sur le travail (LTr) qui fixe ce cadre.

Tous les travailleurs ont-ils donc droit à trois jours de congé payé pour s'occuper de leur enfant malade? Non, répond le professeur Jean-Philippe Dunand, cofondateur et codirecteur du Centre d'étude des relations de travail de l'Université de Neuchâtel. En effet, la loi sur le travail ne s'applique pas à toutes les entreprises ni à tous les travailleurs. Il existe une longue série d'exclusions: secteur agricole, secteur de la pêche, travailleurs exerçant une fonction dirigeante élevée, travailleurs à domicile, administrations fédérales, cantonales et communales, etc.

"Ensuite, il faut distinguer deux choses: la droit d'une personne à ne pas venir travailler et le droit à être payé. La LTr ne dit rien sur cette deuxième question", note Jean-Philippe Dunand. Il faut donc s'appuyer sur l'article 324a du Code des obligations (CO), qui règle l'empêchement de travailler "sans faute". Là encore, plusieurs conditions sont posées pour justifier le paiement du salaire durant l'absence. Il faut, entre autres, que le travailleur soit au bénéfice d'un contrat d'au moins trois mois et qu'il soit empêché de travailler pour des causes "inhérentes à sa personne".

Justement, en droit, la maladie d'un enfant est-elle une cause "inhérente" au travailleur? Le Code des obligations ne dit rien sur ce point et, là encore, il faut chercher la réponse ailleurs, en l'occurrence à l'article 276 du Code civil (CC). Cette disposition définit les obligations des parents envers leurs enfants, notamment celle d'entretien et de protection. A ce titre, un travailleur qui reste chez lui pour s'occuper de son enfant malade accomplit une obligation légale et doit donc être payé, à condition qu'il mette tout en oeuvre pour trouver une solution de garde alternative.

"Ce cas montre bien que la loi ne règle pas, et de loin, toutes les questions concrètes", résume Jean-Philippe Dunand.

Réforme en discussion au Parlement

Le Conseil fédéral a transmis en mai au Parlement un projet de loi destiné à améliorer la conciliation entre activité professionnelle et prise en charge de proches. Cette vaste réforme de la législation est actuellement débattu par les Chambres fédérales.

La grande nouveauté de l'avant-projet du Conseil fédéral est l'introduction d'un droit au congé et d'une allocation de prise en charge pour les parents qui doivent s'occuper d'un enfant gravement atteint dans sa santé en raison d'une maladie ou d'un accident. La durée prévue du congé est de 14 semaines maximum.

En ce qui concerne les absences de courte durée pour la garde d'un enfant malade, aucun droit supplémentaire n'est introduit. La nouvelle législation clarifie toutefois la question via une harmonisation des dispositions de la Loi sur le travail et du Code des obligations. Elle prévoit aussi une extension du droit au congé pour la prise en charge de certains membres de la famille (parents, frères et soeurs, etc.).