Cinq kilos, tel est le poids du dossier médical d'Audrey Aegerter, 27 ans. Il est la preuve d’un passé médical déjà lourd, et pourtant, Audrey n’a jamais été malade. Elle est intersexe, c'est-à-dire née avec des caractéristiques sexuelles qui ne sont ni totalement féminines, ni totalement masculines.
Alors qu'on parlait jadis d'hermaphrodisme, on préfère aujourd'hui intersexuation, ou variation du développement sexuel. Ces variations peuvent concerner les chromosomes, les hormones, le sexe interne ou externe de la personne. Les chiffres sont débattus, mais on estime en général qu'entre 20 et 40 enfants intersexués naissent chaque année en Suisse. Le monde le découvre depuis que la championne du 800m Caster Semenya, coupable de produire trop de testostérone, a été interdite de compétition.
Cent interventions entre 8 et 12 ans
Pendant longtemps, opérer ces corps différents était la norme. Entre ses 8 et ses 12 ans, Audrey Aegerter subit une centaine d’interventions sous anesthésie générale. Objectif: créer un sexe typiquement féminin, lui donner la possibilité d'avoir des rapports hétérosexuels et un développement conforme aux normes. Mais avec comme conséquence un traitement hormonal à vie.
Il y a deux ans, Audrey Aegerter décide de parler de son intersexuation. Elle crée une association pour faire connaître les personnes intersexes et défendre leurs droits.
"J'en veux aux médecins parce qu'il y a eu un forcing médical sur moi, parce qu'ils ont dit des choses qui étaient atroces, à l'égard de mes parents et de moi. Mais je n’en veux pas à mes parents, parce qu'ils ont été les premières victimes du système médical", a-t-elle confié au 19h30 de la RTS.
Je n’en veux pas à mes parents, parce qu'ils ont été les premières victimes du système médical
A la naissance d'Audrey, on déconseille à Elisabeth Aegerter, sa mère, de parler de l'intersexuation de sa fille. Elle veut maintenant éviter que l'histoire ne se répète. "J'espère que ça n'arrive plus que les parents acceptent une opération. Il faut qu'on les informe vraiment et qu'ils prennent contact avec des gens intersexes, avec des parents qui ont des enfants intersexes", souhaite vivement sa maman. Elle n'arrive pas à échapper à un certain sentiment de culpabilité: "J’ai fait opérer Audrey alors que je sais aujourd'hui qu'elle ne l'aurait pas fait. Je veux tout faire pour que les autres parents ne fassent pas la même faute".
Opérations plus tardives aujourd'hui
A l'occasion d'un colloque qui s'est tenu à Berne pour améliorer la collaboration entre personnes concernées par l'intersexuation et milieu médical, Audrey Aegerter en a profité pour faire passer un message: elle aimerait que la Suisse interdise les opérations qu'elle a subies. Un discours qui semble porter, car les hôpitaux affirment avoir changé leurs pratiques. Ainsi, en 2012, la commission nationale d’éthique a publié une prise de position qui recommande qu’"aucune décision significative visant à déterminer le sexe d’un enfant ne soit prise avant qu'il puisse se prononcer par lui-même".
Pour Barbara Wildhaber, directrice du Centre universitaire romand de chirurgie pédiatrique, ces recommandations sont respectées: "Aujourd'hui, on opère ces personnes beaucoup plus tard pour qu'on puisse inclure l’enfant, et même plutôt l'adolescent, qui a clairement pu vivre sa vie jusqu'à ce moment-là. Les pratiques du passé, on a compris qu'il fallait les changer", rassure la professeure.
Cadre légal pas contraignant
Ces recommandations éthiques ne sont toutefois pas contraignantes. Les personnes intersexes tiennent donc à une interdiction pour s'assurer de bonnes pratiques dans le futur.
Au Grand Conseil genevois, un groupe de députés de gauche a déposé deux motions pour interdire ces opérations. "C'est vraiment des interventions lourdes qui entraînent des conséquences sur la définition de l'identité profonde de la personne. Le sexe, le genre sont des éléments essentiels de la personnalité. Il n'est pas acceptable de laisser une marge de manoeuvre pour que ce choix soit effectué par qui que ce soit d'autre que la personne qui devra en subir les conséquences", estime le député PS Diego Esteban.
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Le Conseil d’Etat, lui, estime le cadre légal actuel suffisant. En attendant des avancées législatives, Audrey et son association ont créé des rencontres et un groupe de parole, avec l'objectif qu'être intersexe ne soit plus un tabou.
Sujet TV: Céline Brichet
Adaptation web: Vincent Cherpillod