Professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel et vice-président de la Commission fédérale des migrations, Etienne Piguet vient de publier "Asile et réfugiés - Repenser la protection" dans la Collection Savoir Suisse (éditions PPUR). Il présente, dans cet ouvrage, l’évolution de l’accueil en Suisse depuis 150 ans, interroge la politique actuelle et propose des réformes.
Il y a encore des besoins de protection considérables à proximité de la Suisse.
Et si la question des migrations et de l'asile n'a plus été au cœur des débats durant la campagne pour les élections fédérales cette année, comme cela avait été le cas en 2015, c'est - dit-il - parce que les demandes d'asile ont nettement diminué en quatre ans.
"Mais en même temps", explique Etienne Piguet mercredi dans La Matinale de la RTS, "je crois que c'est une myopie de se focaliser sur ces chiffres et de ne plus en parler, parce qu'il y a encore des besoins de protection qui sont considérables à proximité de la Suisse. Les réfugiés potentiels sont tenus à distance en quelque sorte, d'où l'impression que le problème est réglé."
Il y avait effectivement une crise migratoire en 2015, mais les peurs étaient exagérées.
Avec le recul, les peurs exprimées lors des élections fédérales 2015 étaient-elles alors exagérées? "Elles n'étaient pas exagérées dans le sens où il y avait effectivement une crise migratoire en 2015-2016, c'est vrai. Il y a eu des millions de personnes qui sont venues jusqu'en Europe", remarque Etienne Piguet. "Mais en même temps, les peurs étaient exagérées dans le sens où cela ne représentait finalement qu'une fraction de la population de l'Europe. Donc une politique coordonnée - qui n'a pas été mise en place - aurait pu faire face de manière beaucoup plus efficace à ces besoins de protection qui étaient bien réels."
Le rôle peu clair de l'agence Frontex
Aujourd'hui, l'agence européenne Frontex, à laquelle la Suisse participe, veille au grain sur les frontières de l'Union européenne avec ses quelque 1500 agents détachés et un budget de 230 millions de francs.
Mais pour le vice-président de la Commission fédérale des migrations, Frontex joue un rôle qui n'est pas tellement un rôle d'empêcher l'entrée en Europe, elle joue surtout un rôle de contrôle des frontières, parfois de sauvetage des personnes, ou dans le rapatriement des personnes dont la demande a été refusée. Or, "ce qui joue un rôle plus important pour empêcher les gens d'arriver, et c'est regrettable", relève Etienne Piguet, "ce sont les accords conclus avec la Turquie et la Libye, et aussi parfois les refoulements illégaux opérés aux frontières de l'Europe. Et c'est un problème."
Si on repousse les gens sans considérer leur demande d'asile, on viole ce droit fondamental à être au moins entendu.
Ce spécialiste constate que l'Europe refuse de prendre des décisions. "Ce qu'il faut faire", explique-t-il, "c'est établir si la personne a droit à l'asile ou pas. Si elle a droit à l'asile, il faut l'accepter. Et si on repousse les gens sans considérer leur demande d'asile, on viole ce droit fondamental à être au moins entendu."
Dans son livre, le professeur de l'Université de Neuchâtel suggère aussi de "repenser la protection" et propose des réformes, notamment du visa humanitaire: "Aujourd'hui, les gens sont incités à de longs voyages très dangereux et là il y a peut-être des solutions." Car, ce qui est insupportable, déplore Etienne Piguet, ce sont les milliers de morts en Méditerranée, "et ça continue."
Etendre le modèle des visas humanitaires
L'une des solutions serait de permettre aux personnes de venir demander la protection en n'ayant pas à faire le voyage: "Evidemment, le visa humanitaire ne concerne qu'une toute petite minorité, des personnes qui sont vraiment directement persécutées et en danger, mais je crois qu'on pourrait étendre le modèle. On octroie 10-20 visas humanitaires par mois actuellement [en Suisse], on pourrait en octroyer plus. Et on pourrait généraliser à l'échelle de l'Europe."
Il s'agirait aussi de penser à étendre considérablement la protection sur place, dans les pays d'origine des migrants. Et enfin, "les réinstallations, c’est-à-dire faire venir en Suisse, de manière sûre, des personnes qu'on identifie dans des camps de réfugiés comme particulièrement vulnérables, des femmes seules, des malades, etc... Ce sont des politiques qui peuvent être développées mais la Suisse ne peut pas le faire toute seule. C'est une politique qui doit être européenne."
Propos recueillis par Xavier Alonso/oang