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"Il a pris ma main et l'a collée sur le pénis du patient"

Le CHUV à Lausanne avait lancé l'année dernière une campagne contre le sexisme et le harcèlement sexuel à l'hôpital. [Keystone - Adrien Perritaz]
Des cas de sexisme encore souvent observés dans les hôpitaux suisses / Le 12h30 / 3 min. / le 21 novembre 2019
Une cheffe de clinique aux HUG témoigne jeudi dans le 12h30 du sexisme ordinaire dans le milieu hospitalier. Alors que les statistiques manquent, elle veut montrer qu'il est possible de parler du sexisme et du harcèlement.

Nous avons souvent une image positive du corps médical. Des femmes et des hommes qui se mettent au service des autres. Mais l'hôpital est une entreprise comme les autres, et il n'échappe pas au sexisme et au harcèlement.

Une table ronde a lieu ce jeudi aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), pour réfléchir aux moyens de lutter contre le phénomène.

Pas d'enquête approfondie

Il n'existe pas d'enquête approfondie sur le sujet en Suisse et les chiffres sont rares. Si les cinq hôpitaux universitaires du pays – Genève, Lausanne, Bâle, Berne et Zurich – disposent tous de lieux d'écoute pour les victimes, ils ne tiennent pas forcément de statistiques. L'hôpital de Zurich, par exemple, a recensé huit cas de harcèlements sexuels en 2018 et quatre cette année, mais il avoue que ce n'est que la pointe de l'iceberg.

A défaut de chiffres, il y a la parole des victimes. A Lausanne, le Clash – le Collectif de lutte contre le sexisme en milieu hospitalier – a collecté une soixantaine de témoignages. Il a aussi été à l’origine d’une campagne de sensibilisation au CHUV. A Genève, l’association MedFem regroupe des femmes et des hommes médecins qui oeuvrent pour plus d'égalité. Les HUG n’ont pas encore lancé de campagne de sensibilisation, mais y réfléchissent.

Des humiliations

La RTS a rencontré Jennifer Socquet, cheffe de clinique aux HUG, âgée de 33 ans, qui a décidé de témoigner aujourd'hui "pour montrer qu'il est possible de parler du sexisme et du harcèlement. J'ai envie que les gens entendent que ça existe. C'est pour libérer la parole de ceux qui ne pensent pas l'avoir. Et faire résonner cette thématique chez ceux qui pensent que cela n'existe pas vraiment."

Pour elle, le sexisme à l'hôpital a plusieurs visages. "Naïvement, je pensais que cela n’existait pas. Mais quand j’étais stagiaire, au premier jour d’un stage en chirurgie, on m’a demandé ce que je voulais faire. Quand j’ai répondu que je voulais faire de l’humanitaire, le chirurgien s’est esclaffé, en disant ‘ça tombe bien tu ne finiras jamais chirurgienne’."

Une autre expérience a suivi, peu de temps après. "Au bloc opératoire dans une salle pleine de personnes, en fin d’opération, un chirurgien me demande comment je trouve le pénis d’un patient. Je reste de marbre. Je n’arrive pas à bouger. J’ai raté deux-trois battements de cœur. Le chirurgien insiste pour avoir mon avis. Il a pris ma main et l’a collée sur l’organe du patient. En rigolant, il me demande ‘est-ce que c’est bien comme ça ?’. C’est une grosse humiliation. J’ai retiré ma main et je suis partie. J’ai pleuré dans le vestiaire. Ce qui est difficile, c’est de comprendre que c’est toléré. Personne n’a réagi."

La parole se libère

Selon Jennifer Socquet, il existe un sexisme violent et cru, comme celui qu’elle a raconté. Mais aussi un sexisme plus caché, et qui entrave la carrière des femmes. La cheffe de clinique raconte ses entretiens d’embauche, durant lesquels on lui a toujours demandé si elle comptait avoir un enfant dans l’année.

Dans le milieu de la santé, il est difficile de parler de ces différents aspects du sexisme – qui est aussi parfois perpétué par des femmes ou par certains patients, qui imaginent que les hommes sont médecins et les femmes infirmières. Il existe une loi du silence et un manque de modèles féminins.

C'est l'avis de Carole Clair, professeure à la Faculté de médecine à Lausanne et responsable de la Commission médecine et genre: "La parole s’est un peu libérée, heureusement, depuis quelques années. Il est vrai que l’on est dans un milieu extrêmement hiérarchisé. Chez les jeunes, il y a souvent une compétition pour accéder à certains postes. Cela complique les dénonciations quand on veut s’attirer les faveurs du supérieur hiérarchique pour obtenir un poste."

Mais les choses évoluent, surtout depuis l’éclosion du mouvement #MeToo et la grève des femmes, le 14 juin dernier. La profession se féminise, de plus en plus de femmes occupent des postes à responsabilité.

Et depuis cet automne, les étudiants en médecine à Lausanne ont l’obligation de suivre un cours sur le sexisme et le harcèlement. "Ce cours est unique en Suisse, explique Carole Clair. Il permet de sensibiliser les jeunes médecins à ces questions, et de donner des outils pour agir s’ils sont exposés à de telles situations en milieu clinique, en tant qu'harceleur ou en tant qu'harcelé."

Pauline Rappaz/pw

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