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Les sondages en ligne rémunérés, entre bon plan et arnaque

Sondages rémunérés: arnaque ou bon plan?
Sondages rémunérés: arnaque ou bon plan? / 19h30 / 4 min. / le 24 novembre 2019
Donner son avis contre de l’argent, c’est tentant. En Suisse comme à l’étranger, les sites internet qui proposent des sondages rémunérés se multiplient. Argent facile ou arnaque? La RTS a mené l’enquête.

Quelques mots sur un moteur de recherche suffisent pour découvrir une ribambelle de sites dédiés aux sondages rémunérés. Certains promettent jusqu'à 300 francs par mois et des bons cadeaux chez tous les grands distributeurs. Mais même en y consacrant des heures, le résultat n’est pas à la hauteur des attentes, comme l'a constaté une étudiante en marketing à Genève, interrogée dans le 19h30 de la RTS.

Il y a un an, elle s’est inscrite sur l’un de ces sites pour arrondir ses fins de mois, avec un brin d'appréhension au début: "Ça m’a pris un peu de temps pour voir si je pouvais vraiment faire confiance à ces sites. Dès qu'on doit fournir des données personnelles comme son nom, son prénom ou encore son adresse, on ne sait pas où ça va, on ne sait pas si les personnes sont bien intentionnées", explique l’étudiante.

L'un des sites de sondages rémunérés en ligne
L'un des sites de sondages rémunérés en ligne

Pour se rassurer, elle ne s’est inscrite que sur des sites suisses et très vite, elle s’est prise au jeu des sondages. Comparer des marques d'électroménager, des opérateurs télécoms ou les déodorants, tout y passe. "J’ai plaisir de participer à l’amélioration des services et produits autour de moi. On a tous une certaine propension à se plaindre, alors je trouve que quand on nous donne la possibilité de nous exprimer, il faut le faire".

"Pour un questionnaire de 2 minutes, on reçoit 5 points"

Certains sondages ne durent que 2 à 3 minutes, mais d’autres peuvent prendre jusqu'à 35 minutes. Le principe est simple: vous remplissez des données socio-démographiques, puis vous donnez votre avis sur un produit ou une marque et le site vous récompense par des points bonus. "Pour moi, c’est un moyen de se faire des petits sous. Je ne vous cache pas qu'il ne s'agit pas de milliers de francs par mois", raconte la jeune femme.

En un an, elle n’a réussi à convertir qu'une vingtaine de francs, car s’inscrire ne fait pas tout: il faut encore obtenir des sondages. Impossible de décider de la fréquence, ce sont les sites eux-mêmes qui vous envoient des invitations au compte-gouttes. Pour en obtenir un maximum, mieux vaut se situer dans le "groupe cible", c’est-à-dire généralement être un homme marié avec deux enfants, propriétaire et disposant d’un bon revenu.

"On est mis au rebut passé 80 ans, on n’a plus le droit d’émettre son opinion"

Cette notion de groupe cible, une retraitée de 82 ans l'a comprise à ses dépens. Cette Lausannoise, mordue de sondages, adore répondre à des questions sur les produits pour passer le temps. Elle y consacre plusieurs heures chaque semaine avec grand plaisir. "C’est vrai que ça m’amuse, j’appelle ça 'rester dans le coup'. J’adore ça, donner mon opinion!". Mais depuis qu’elle a soufflé sa 80ème bougie, lorsqu'elle indique son âge, la plupart des sites la stoppent net. Impossible d’aller plus loin. "On est mis au rebut passé 80 ans, on n’a plus le droit d’émettre son opinion, de dire ce qu'on pense", déplore la retraitée.

Alors pour gagner de l’argent, certains n’hésitent pas à tricher, comme cet internaute qui souhaite rester anonyme: "Si vous dites la vérité sur votre réelle situation, peu de sondage sont accessibles. Il faut avoir des stratégies établies pour pouvoir gagner de l’argent", révèle-t-il. Sur la majorité des sites de sondages rémunérés, les informations données sont en effet purement déclaratives.

Traque aux fausses réponses

Pour traquer les fausses réponses, les sites spécialisés ont néanmoins mis en place des contrôles. "Quand vous vous inscrivez sur notre panel, nous vérifions votre adresse et redemandons à chaque fois vos données sociodémographiques. S’il y a des incohérences, nous pouvons retirer les réponses. Nous avons également intercalé des questions qui sont uniquement là pour mesurer à quelle vitesse vous répondez. Si vous répondez trop vite, donc sans avoir lu, alors on peut retirer votre questionnaire du panel pour avoir des données de bonne qualité", explique la directrice de Marketagent Suisse Cornelia Eck, une société spécialisée dans les sondages rémunérés.

Des questions servent à vérifier que les sondés ne répondent pas au hasard.
Des questions servent à vérifier que les sondés ne répondent pas au hasard.

Ce site de sondage basé à Zurich revendique plus 1,7 million d’inscrits à travers le monde, dont 63'000 en Suisse. Le panel a triplé depuis sa création en 2009. Sur sa page d’accueil, Marketagent affiche fièrement un compteur annonçant que plus de 2 millions d’euros ont été distribués depuis le 1 janvier 2019. Toutefois, pour sa directrice suisse, la stratégie est claire: "Vous ne pourrez pas devenir riches, cela ne doit pas être la première motivation. Nous gardons délibérément les points bonus relativement bas parce que nous ne voulons pas que cela devienne le principal moteur des participants. Cela fausserait leurs réponses".

Autre problème, transformer ses points bonus en bons cadeaux ou en argent n’est pas évident sur tous les sites. Lors du test effectué par la RTS, certains sondages se sont arrêtés juste avant la fin sans attribuer de points, alors que plus de 80% des questions avaient été remplies. Autre mésaventure, un compte a été désactivé pile au moment de la récupération de l'argent. Le site en question se justifie en évoquant des conditions générales violées, une situation qui alimente certains forums d'utilisateurs.

Argent "pas indispensable"

Seul moyen efficace de se faire rémunérer: décrocher une place dans un panel romand, comme celui fondé par Esther Sève. Créé il y a 7 ans, le panel "Votre-Opinion" compte aujourd'hui près de 6000 personnes inscrites en Suisse romande. En plus des questionnaires en ligne envoyés une à deux fois par mois, la fondatrice propose des discussions rémunérées en petits groupes. Mardi dernier, huit célibataires de moins de 30 ans ont été sélectionnées via Facebook et Instagram pour donner leur opinion sur une nouvelle application de rencontre qui souhaite s’implanter à Lausanne. Après une heure de discussion, les jeunes femmes repartent avec 50 francs. " Ça m’a motivée à venir, sans ça je ne sais pas si je l’aurais fait. J’avais envie de voir par curiosité comment se passaient ces sondages, et avec la rémunération, c’est encore mieux", avoue l'une des participantes, employée dans une multinationale.

Pour la fondatrice du panel, la rémunération est un dédommagement nécessaire lorsque les gens se déplacent et prennent le temps de répondre aux questions, mais elle n’est pas indispensable: "Aujourd'hui, avec la puissance des réseaux sociaux, on a la possibilité de toucher des personnes gratuitement. Ce sont des personnes encore plus impliquées, des gros consommateurs. On peut obtenir près de 400 réponses sans qu'elles ne soient dédommagées", décrypte Esther Sève.

Sondages politiques bientôt rémunérés?

Aujourd’hui, selon Marketagent, 61% des études de marché sont réalisées via des sondages en ligne. Et la politique n’échappe pas à la règle. L'institut Sotomo utilise le panel "Intervista" et l’institut GFS a également son panel en ligne, nommé "Polittrends". "On espère que notre panel atteindra 30'000 participants. Plus il est grand, plus on est sûr des réponses", explique Martina Mousson, directrice de projet chez GFS. Selon cette spécialiste, les sondages rémunérés en ligne sont trois fois moins chers à organiser que des sondages traditionnels par téléphone et sont surtout plus rapides. Elle estime toutefois que les données récoltées via ce moyen ne sont pas suffisamment fiables pour être utilisées lors des sondages pour les votations.

Cécile Tran-Tien/vic

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