La vente de sextoys a fait son apparition dans les grandes surfaces en Suisse, à la Coop en 2015, à la Migros en 2016, à Manor en octobre dernier. En général, ces produits se trouvent au rayon pharmacie, entre les préservatifs et les tests de grossesse, ou au rayon beauté et massage. La variété des produits reste toutefois assez faible (vibromasseurs et boules de Geisha/loveball essentiellement).
"Le développement est très positif. Il faut dire que la thématique "lovetoys" s’est passablement détabouisée ces dernières années", commente le porte-parole de la Migros, Tristan Cerf. Chez Coop également, la demande est croissante. Pour autant, sa filiale Globus ne vend aucun sextoy et ne prévoit pas de le faire. Il en va de même pour Lidl.
Observant aussi que ce secteur est en plein essor "car le sujet n'est plus tabou", Manor a suivi le mouvement en octobre dernier, en proposant un calendrier de l'Avent érotique. La société poursuivra sur sa lancée en février avec un set pour la Saint-Valentin. Des ventes sur toute l'année sont en cours d'examen. En attendant, les clients peuvent se rabattre sur la nouvelle page web de l'entreprise.
Explosion des ventes sur internet
Car les sites de vente en ligne de ces magasins connaissent eux une explosion nette de la demande. D'une part grâce à la discrétion qu'ils offrent aux clients. D'autre part grâce à la variété des produits vendus. Via le shop.ch, la Migros ne propose que huit types de sextoys mais Galaxus, l'une de ses filiales, vend pas moins de 7700 objets en lien avec les parties de jambes en l'air: quelque 2800 vibromasseurs, 1000 godemichets, 1200 anneaux de pénis-cockrings, 800 masturbateurs, 1000 lovetoys anaux, plus de 3000 objets de fétichisme et près de 200 jeux de société. "Depuis 2018, l'assortiment a plus que quadruplé", confie son porte-parole Rico Schüpbach, en parlant de "plusieurs dizaines de milliers de produits vendus par an" et d'une croissance de 30%.
Manor a rejoint ce marché en ligne en décembre seulement mais il propose déjà une gamme très large de produits, allant des pompes à pénis aux objets de fétichisme, grâce à son partenariat avec la marque zurichoise Amorana, spécialisée dans les produits érotiques. Et l'entreprise va "développer ce secteur constamment", précise sa chargée de communication Sofia Conraths.
MediaMarkt aussi a flairé la bonne affaire. Le groupe s'est lancé dans la vente de sextoys au printemps dernier "en raison de la demande et du fait que ces jouets ne sont plus tabous". Toutefois le spécialiste d'électroménager ne les vend que via internet.
Le leader romand de vente en ligne de produits érotiques, KissKiss, voit d'un bon oeil l'arrivée des grandes distributions dans ce marché. "Cela rend les produits plus accessibles et donc moins tabous", se réjouit son directeur Tristan Barras, qui relève une hausse moyenne de 15% par an. Le magasin spécialisé Substation Xworld, implanté dans le quartier des Pâquis à Genève depuis plus de 20 ans, se dit lui inquiet. "Fort heureusement, nous ressentons de la part de la clientèle un grand besoin de conseils avisés, ce qui constitue un atout par rapport à ces gros concurrents", tempèrent Jean Decker et Frederic Veyret.
La fin d'un tabou
Deux phénomènes expliquent la hausse des ventes des sextoys et leur apparition dans les grandes surfaces: la sexualité est moins taboue et le plaisir féminin est davantage pris en considération. "Les clientes et les clients sont plus à l’aise pour verbaliser leur désirs et leurs questions sont de plus en plus précises et décomplexées", confirment Jean Decker et Frederic Veyret de Substation X-World.
La façon dont on parle des sextoys a vraiment beaucoup évolué, et donc de fait, la façon dont on parle de sexualité
Ces changements sociétaux ont aussi provoqué des changements lexicaux. Le terme de "lovetoys" est en train de supplanter celui de "sextoys". Et les lovestores ont fait leur apparition à côté des sexshops. Ces magasins ont la devanture transparente et s'adressent aux couples. "On peut être une femme et entrer là dedans sans se faire reluquer par tous les clients", relève dans le film Ovidie, ex-actrice pornographique devenue réalisatrice et écrivaine. Par ailleurs, le lovestore nourrit cette libéralisation sexuelle. Car dans ce type de magasin, le couple discute du choix du sextoy. "Donc forcément, ça ouvre la conversation autour de la sexualité", remarque Ovidie.
A noter que la trilogie "Fifty Shades of Grey" (50 nuances de Grey) a également participé au boum des sextoys ces dernières années, en particulier en ce qui concerne les produits de bondage, souligne le directeur de KissKiss, Tristan Barras.
>> Lire : Les sex toys causent plus de blessures depuis "Cinquante nuances de Grey"
Le plaisir féminin prend son envol
Le vibromasseur est le sextoy le plus convoité chez les gros distributeurs, que ce soit en rayon ou en ligne. Même si ces jouets intimes peuvent être utilisés par des hommes, d'aucuns y voit la preuve que la société est à un tournant dans son rapport au plaisir féminin. "La hausse des ventes de sextoys pour femmes s'est réellement fait sentir ces deux dernières années", témoignent Jean Decker et Frederic Veyret du magasin genevois Substation Xworld.
"Il y a eu cette prise de conscience qu'on pouvait parler entre femmes de masturbation, sans forcément passer pour la pauvre fille, célibataire éternelle, toute seule chez elle, qui galère avec ses doigts", rapporte Ovidie. La masturbation féminine s'est ainsi développée, favorisant une meilleure connaissance des organes sexuels féminins et donc de la manière de parvenir à l'orgasme. "On en a terminé avec l'idée qu'avec les femmes, il faut des trésors d'inventivité", constate Ovidie.
Par ailleurs, depuis que des études ont réhabilité la taille réelle du clitoris, ainsi que son potentiel, des sextoys ont été développés uniquement pour cet organe: les stimulateurs clitoridiens. Le succès est de mise pour les magasins qui les proposent. Chez KissKiss, ce jouet intime a même détrôné le vibromasseur en terme de vente.
Caroline Briner