Toutes les 18 minutes en Suisse, un nouveau cas de démence est diagnostiqué. Dans plus de 65% des cas, il s'agit de l'Alzheimer. Cette maladie touche principalement les seniors, mais dans 5% des cas, elle se déclare avant 65 ans. En Suisse, plus de 7400 personnes sont atteintes de démence avant l'âge de la retraite.
La science ne connaît ni la cause de la maladie d'Alzheimer, ni le moyen de la guérir. Mais des facteurs de risque ont été mis en évidence (cholestérol, sédentarité, etc.) et certains médicaments permettent de ralentir la progression de la maladie, chez certaines personnes. Dans les faits, la dégénérescence des neurones débute au niveau de l’hippocampe, essentiel à la mémoire, puis s’étend progressivement au reste du cerveau (voir photo ci-dessous).
Pour la personne nouvellement diagnostiquée, la perspective de perdre sa capacité de discernement en quelques années seulement (l'espérance de vie est en moyenne de sept ans) est vertigineuse. Pour l'entourage aussi, l'idée de voir son proche changer de personnalité et perdre son autonomie provoque l'effroi. En 2013, la Confédération et les cantons ont adopté une Stratégie nationale pour mieux prendre en charge les cas de démence.
Je ne veux surtout pas vivre en étant dépendante. J'ai toujours été libre dans mes choix, dans ma façon de vivre, et veux le rester jusqu'à la fin.
Yasmina Konow, infirmière spécialisée dans la démence depuis 20 ans, est conseillère téléphoniste à Alzheimer Suisse, organisation active depuis 1988. Elle explique comment vivre au mieux avec cette maladie particulière.
Comment est-ce qu'on découvre qu'on a la maladie d'Alzheimer?
Le malade est en général dans le déni. Donc très souvent, ce sont les proches qui font les premières démarches. S'ils contactent Alzheimer Suisse, nous les invitons à se rendre dans une clinique de la mémoire, où les spécialistes peuvent poser un diagnostic. Les proches peuvent aussi demander un entretien téléphonique avec le médecin de famille, qui est tenu au secret professionnel, mais qui peut écouter leurs préoccupations. Le médecin n'a pas toujours une vision précise des difficultés quotidiennes que rencontre son patient car en début de maladie, celui-ci camoufle ses troubles.
Faire le pas du diagnostic peut donc prendre du temps...
Entre les premiers doutes et le diagnostic, il peut se passer un an. Mais la situation s'améliore. Les cliniques de la mémoire sont de plus en plus nombreuses. En outre elles peuvent désormais poser des diagnostics même si les patients ne disposent pas de bon de délégation du médecin de famille. Et ces mêmes médecins sont de plus en plus réactifs.
Comment expliquez-vous que le malade reste si longtemps dans le déni?
Comme lors de n'importe quelle annonce de maladie incurable, le patient passe d'abord par une phase de déni. Cette phase est d'autant plus forte que cette maladie est perçue comme honteuse. Par ailleurs, la particularité de la maladie d'Alzheimer est que les patients souffrent d'anosognosie, c'est à dire qu'ils ne sont pas conscients de leurs troubles en raison de l'atteinte de certaines zones cérébrales.
Une fois la maladie diagnostiquée, que doit entreprendre le malade ?
Lorsqu'il en est encore au stade initial de la maladie et qu'il est donc encore relativement autonome, le malade est invité à régler les questions administratives, à s'atteler à l'héritage et à préparer l'avenir (quand il ne sera plus capable de prendre des décisions, NDLR), via des directives anticipées ou en confiant des mandats aux proches, car les enfants ne disposent pas d'office d'un pouvoir légal de représentation (au contraire du partenaire de vie). Par ailleurs, une attestation d'incapacité de discernement ciblée peut être utile, par exemple pour éviter d'être amendé quand il oublie de payer le bus ou pour résilier plus facilement des contrats. Il s'agit surtout de profiter de cette période pour passer des bons moments en famille.
Quels sont les traitements possibles?
Malgré la polémique sur son efficacité, une prescription de médicaments peut toujours se faire en Suisse car certains produits peuvent ralentir la dégradation des fonctions cognitives. Cette décision repose sur l'ensemble du corps médical. L'important est de garder une vie active et saine, en faisant des activités et en conservant des liens sociaux.
Cette maladie, je l'appelle la maladie invisible, mais pourtant la moindre chose du quotidien à faire comme s'habiller, parler, découper de la viande, deviennent impossible. Je ne dis pratiquement jamais aux autres que je suis malade car ils ne comprendraient pas.
Peut-on continuer de travailler lorsqu'on a Alzheimer?
Oui. Il faut toutefois procéder à des aménagements en ce qui concerne les horaires ou le type de tâches. Intégration Handicap peut aider à entreprendre les démarches. Par ailleurs, les malades ont le droit à des prestations financières de l'AI dès les premiers symptômes, avec effet rétroactif.
C'est un véritable changement de vie qui s'opère. Quels types de soutien peuvent bénéficier les personnes qui découvrent leur maladie?
La démence est une maladie invisible et innommable. Si vous avez un cancer, tout le monde vous plaint. Si vous avez l'Alzheimer, tout le monde vous fuit. Les gens diront qu'ils ne sauront pas quoi vous dire. L'isolement guette... Le patient est soutenu psychologiquement par une équipe de spécialistes dans les cliniques de la mémoire : des psychiatres, des psychologues, des neuropsychologues, etc. Il peut aussi s'adresser à Alzheimer Suisse. Au niveau administratif et financier, il peut aussi compter sur Pro Senectute, Procap ou Pro Infirmis.
L'Alzheimer? Ça fait mal nulle part, sauf à l'ego.
Pour les proches, la nouvelle doit être aussi démoralisante...
Les proches sont aussi dans le déni au début. Jusqu'à ce que la situation soit acceptée, cela peut prendre un certain temps. La particularité avec l'Alzheimer, c'est que la personnalité change plus que le corps. Les proches doivent donc entreprendre ce qu'on appelle "un deuil blanc", c'est-à-dire un deuil de la personnalité. C'est très difficile. En plus, pour les enfants, il y a une inversion des rôles à laquelle on n'est pas du tout préparé. Enfin, la maladie exacerbe la dynamique familiale, pour le meilleur comme pour le pire. Si les relations étaient initialement tendues, les décisions à prendre sur l'accompagnement du malade peuvent déboucher sur des conflits.
Quelles sont les obligations des proches?
Les proches ont des obligations morales, mais aucune obligation légale, à l'exception peut-être d'une obligation financière selon la situation. Si, pour des raisons de distance géographique ou autres, aucun proche ne peut aider une personne atteinte d'Alzheimer, même si celle-ci en est uniquement à un stade initial, une curatelle peut être ordonnée. Dans la pratique, la majorité des malades sont soutenus par leurs proches.
Une fois que la maladie s'aggrave, le travail pour les proches peut prendre des dimensions excessives. Comment ne pas se noyer?
Globalement, les proches aidants se sentent isolés. Durant la phase de choc, les conjoints-enfants-amis n'entendent pas vraiment les conseils qu'on leur prodigue. Ce qui fait qu'au moment où ils se rendent compte qu'ils ont besoin d'aide, ils ne savent pas comment s'y prendre, même si l'offre est relativement vaste en Suisse. Choc, déni, recherche d'informations, participation à des discussions et enfin acceptation d'un soutien: c'est le processus habituel. En Suisse, il existe plus de 120 groupes destinés à échanger ses expériences autours de l'Alzheimer, sous la conduite d'un professionnel. En plus de cela, les proches peuvent recourir à des assistants de soins à domicile et participer à des vacances acompagnées d'un spécialiste. >> Tout savoir sur les droits des proches
Pensez-vous que l'aide aux proches aidants doit être améliorée?
Les soutiens financiers doivent augmenter, ainsi que la reconnaissance du travail fourni. Si c'est difficile de prendre un jour de congé pour un enfant malade, ça l'est encore plus pour un parent! >> Tout savoir sur les aides financières
A quel moment le maintien à domicile n'est plus possible?
Lorsque les proches constatent qu'ils sont épuisés, tant émotionnellement que physiquement. C'est particulièrement difficile pour le conjoint, qui est généralement âgé et qui ne peut plus beaucoup dormir en raison de l'activité nocturne du malade. D'autre part, dès qu'on touche à l'intimité, cela devient délicat. L'incontinence peut être un facteur déclencheur de cette gêne. Nous encourageons les proches à garder une relation affective plutôt que soignante.
Pour certaines personnes, l'idée de laisser partir son proche dans un EMS est insoutenable. Qui a le dernier mot?
A un stade avancé de la maladie, il est possible d'organiser un accompagnement et un service de soins à domicile jour et nuit. Dans la mesure du possible, la volonté (exprimée ou présumée) du malade est prise en compte. S'il y a un désaccord sur le maintien ou non à domicile, il peut être recommandé de faire appel à un médiateur. Le financement de ces soins 24h sur 24 est en grande partie à la charge des familles. Mais le choix du coeur est souvent déterminant.
Caroline Briner
Ce que coûtent les démences à la société
Les démences représentent le principal facteur de besoin en soins chez les personnes âgées, même si elles ne constituent que la 3e cause de mortalité chez les plus de 85 ans, après les maladies cardio-vasculaires et le cancer.
En 2017, les démences ont coûté 6,3 milliards de francs au système de santé (7,6% des dépenses totales), selon Alzheimer Suisse.
A cela s'ajoutent 5,5 milliards de francs estimés pour les heures de bénévolat fournies par les proches.