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Féminiser l'écrit n'alourdit pas la lecture

La féminisation des textes n'est pas un obstacle pour le lecteur
La féminisation des textes n'est pas un obstacle pour le lecteur
C'est du moins la conclusion d'une étude menée par l'Université de Fribourg, qui prend ainsi le contre-pied de la vénérable Académie française, jugée très conservatrice en la matière, voire misogyne.

Après un petit temps d'adaptation, il est possible de lire à une
vitesse normale les «avocates et les avocats» ou «les avocat-e-s»
sans que le texte n'en pâtisse, affirment les chercheuses et les
chercheurs en psycholinguistique de l'Uni de Fribourg dans une
étude intitulée «Lourdeur de texte et féminisation: une réponse à
l'Académie française».

Selon la célèbre institution fondée en 1635 par le cardinal de
Richelieu, «il est inutile, pour désigner un groupe de personnes
composé d'hommes et de femmes, de répéter le même substantif ou le
même pronom au féminin puis au masculin.» L'Académie recommande
également d'éviter l'usage de barres obliques ou de parenthèses
pour signifier le féminin (écrire par exemple «les
adhérent(e)s»).



Au singulier, lorsque le masculin revêt un sens générique, de
telles surcharges n'apportent aucune information supplémentaire et
gênent considérablement la lecture, affirme encore l'Académie sur
son site Internet. «C'est peut-être lourd, mais on s'y habitue très
vite», rétorque Pascal Gygax de l'Université de Fribourg.

En faveur de la femme

Pour le prouver, il a fait lire à vingt étudiantes et vingt
étudiants cinq textes mettant en scène cinq métiers et rédigés de
quatre manières différentes: «les maçons», «les maçonnes», «les
maçon-ne-s» et «les maçons ou les maçonnes». Il en ressort que si
la lecture de la première phrase rédigée sous forme féminine ou
épicène est effectivement ralentie, dès la seconde elle redevient
normale.



Ceci sans compter le fait que l'utilisation du masculin générique
pousse automatiquement à une représentation biaisée en défaveur des
femmes. Dans deux autres études réalisées avec les universités de
Berne, Sussex (Angleterre) et Trondheim (Norvège), les
scientifiques montrent en effet que la représentation mentale d'une
profession change si l'on féminise le texte.



Ainsi, selon la première étude, le pourcentage de femmes associé à
un métier augmente si celui-ci est écrit au masculin et au féminin.
Et il est encore plus élevé si la forme féminine est placée en
premier. En français et en allemand, révèle la seconde étude, la
référence aux femmes est très fortement réduite avec l'utilisation
du générique masculin. Pourtant, là encore, l'Académie française
tient à cette forme, en particulier pour les titres, grades et
fonctions.

La misogynie de l'Académie

Il serait donc faux d'écrire «la députée». Car seul le masculin,
qui est le genre «non marqué», peut traduire la nature
indifférenciée de ces noms, explique l'Académie. Et d'affirmer que
la préservation de dénominations collectives et neutres permet
justement d'instaurer une réelle égalité.



«La langue est vivante et n'est jamais neutre: elle est frein,
miroir ou moteur», rétorque Sylvie Durrer, cheffe du bureau vaudois
de l'égalité entre les femmes et les hommes. Son évolution peut
donc contribuer à atteindre l'égalité de fait. «Or l'Académie est
extrêmement conservatrice, à la limite de la misogynie, quand un de
ses membres ose se demander publiquement, par exemple, si le
féminin de recteur ne serait pas rectale!», souligne Sylvie
Durrer.



Elle relève d'ailleurs que la rédaction épicène est de plus en
plus courante et même souhaitée par un nombre croissant de
citoyennes et citoyens. C'est pourquoi son bureau s'est attelé à
l'harmonisation des pratiques en édictant quatre règles de
rédaction pour l'administration cantonale, en adéquation avec le
système linguistique français.

"Contraire à la grammaire"

En France en tout cas, «ce n'est pas aux administrations
d'imposer des formes féminines, spécialement quand elles sont
contraire à la grammaire», remarque Jean-Mathieu Pasqualini du
service du dictionnaire de l'Académie française. Et de citer les
exemples de «professeure» ou «auteure». «Le soucis des féministes
est légitime, mais il ne doit pas remettre en cause la langue»,
ajoute-t-il. C'est pourquoi «l'Académie veut jouer un rôle de
modération, de prudence et de respect de l'usage».



ats/sun

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Echantillon pas assez représentatif?

Le nombre relativement faible de participantes et participants à l'étude de l'uni de Fribourg, quarante, peut faire l'objet de critiques.

«C'est vrai», reconnaît Pascal Gygax. «Mais comme les résultats obtenus sont sans équivoque, il n'était pas nécessaire d'augmenter l'échantillon. Cela aurait juste rendus les résultats encore plus nets.»

Pour les deux autres études sur le générique masculin, le nombre de participantes et de participants, respectivement 107 et 229, est tout à fait habituel pour les recherches en psycholinguistique, affirme M. Gygax.

Les trois études se veulent une contribution empirique à un débat très complexe. Celui-ci s'insère en effet dans un cadre tant linguistique que psychologique, social et politique.

Les trois études s'inscrivent dans le cadre d'un projet soutenu par le Fonds national suisse (FNS) intitulé «Gender Representation in Language».

Les prochaines recherches porteront sur la représentation des noms de métiers et l'impact de la féminisation des offres d'emplois.

Les règles vaudoises

Le bureau de l'égalité entre les femmes et les hommes du canton de Vaud a édicté quatre règles de base pour la rédaction épicène.

La 1ère règle recommande de recourir systématiquement à la désignation Madame et de renoncer à la désignation Mademoiselle.

La 2e demande de féminiser ou masculiniser les désignations de personnes, c'est-à-dire d'écrire «une préfète, un préfet» ou «la témoin, le témoin».

En cas de double désignation, la troisième règle préconise d'adopter l'ordre de présentation féminin puis masculin, ce qui permet d'accorder la suite de la phrase au masculin.

Ainsi, on écrira «la doyenne ou le doyen est libéré d'un certain nombre de périodes d'enseignement... Il reçoit une indemnité.»

Enfin, la 4e règle préconise l'utilisation du tiret pour les formes contractées destinées à signifier la mixité, et non pas les parenthèses ou la barre oblique. On écrira donc «les président e-s de tribunal sont chargé-e-s de...».

D'autres solutions existent encore et chaque canton définit ses propres règles. Mais le bureau vaudois a voulu simplifier l'écriture épicène au maximum pour qu'elle soit adoptée le plus largement possible, explique sa cheffe Sylvie Durrer.