L'ex-secrétaire d'Etat adjoint d'état au sein du DFAE Georges Martin donne son point de vue sur la crise que traverse la Suisse dans le cadre de l'affaire Crypto, entreprise qui a permis notamment aux USA d'espionner plus de 120 pays étrangers.
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Dans l'histoire de la Suisse, "on a eu deux commissions d'enquête parlementaires: les mirages et
. La crise dans laquelle nous sommes est un petit peu dans ces zones-là", a estimé l'ancien numéro trois du DFAE.
"On a probablement su ce qu'elle faisait"
A ses yeux, il est difficile à croire que les autorités de l'époque aient pu ignorer les activités réelles de Crypto AG. "Vu le type de produits que cette société fabriquait, les autorités de sécurité ont dû pour le moins s'assurer qu'elle ne travaillait pas pour les services soviétiques. On connaît pratiquement tout de ce que fait une entreprise qui n'a rien à voir avec les produits de sécurité, alors Crypto a dû être passée au peigne fin. On a probablement su d'une manière ou d'une autre ce qu'elle faisait", avance Georges Martin.
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Rencontre en Indonésie
Georges Martin a révélé mercredi dans l'émission de la télévision alémanique SRF avoir été contacté par Crypto AG, alors qu'il était ambassadeur de Suisse en Indonésie au printemps 2003, pour organiser une rencontre avec les autorités indonésiennes, un temps le quatrième plus gros client de la société. "C'est le pain quotidien d'un ambassadeur à l'étranger, appuyer les entreprises auprès des autorités locales", justifie l'ancien diplomate.
Je suis allé à ce rendez-vous comme je serais allé à celui organisé par le représentant d'une fabrique de chocolat. Crypto avait réussi à créer autour d'elle une banalité, une normalité parfaite
"Je suis allé à ce rendez-vous comme je serais allé à celui organisé par le représentant d'une fabrique de chocolat", explique Georges Martin, qui nie avoir été au courant des activités d'espionnage de l'entreprise à cette époque. "Elle avait réussi à créer autour d'elle une banalité, une normalité parfaite".
Rumeurs depuis deux décennies
Si les rumeurs des années 90 qui entouraient déjà Crypto ne l'ont pas dissuadé d'accepter l'invitation, c'est parce qu'il avait le sentiment qu'aucune autre entreprise n'avait été davantage passée au crible par les autorités de sécurité: "Ces rumeurs se sont étendues sur deux décennies. Si elles n'étaient pas confirmées, pour moi, c'était tout à fait évident que ça ne restait que des rumeurs", s'est-il défendu, confirmant au passage que le DFAE n'avait émis aucune mise en garde contre Crypto.
"Ces rumeurs disaient certes que la société fabriquait des appareils trafiqués, avec des portes dérobées permettant d'intercepter les renseignements des pays qui les utilisaient", a poursuivi l'ancien ambassadeur. "Mais à aucun moment elles disaient que le vrai propriétaire de Crypto était la CIA. Cet élément change complètement la donne et nécessite que la vérité apparaisse."
L'image de la Suisse écornée
Georges Martin confie avoir aujourd'hui un sentiment un peu confus. "J'ai rencontré non pas les représentants d'une entreprise suisse, mais d'une entreprise en main d'organisations du renseignement étranger", constate-t-il.
J'ai rencontré non pas les représentants d'une entreprise suisse, mais d'une entreprise en main d'organisations de renseignement étrangers
Pour lui, des conséquences pour l'image de la Suisse à l'étranger sont à craindre. "C'est presque inévitable que ça l'écorne", prédit l'ancien diplomate. "Quel que soit le contexte, il y a des règles. Ce qui fait la force de notre Etat, c'est le bon fonctionnement des institutions. On ne peut pas tout faire, c'est précisément la force d'une démocratie."
Propos recueillis par Julien Bangerter
Adaptation web: Vincent Cherpillod