Depuis l'annonce du premier cas détecté en Suisse, chaque jour apporte son nouveau lot de personnes contaminées par le coronavirus dans le pays. Au dernier pointage de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), ce nombre s'élevait à plus de 3028 cas positifs et 21 décès (le 17 mars à 13h45. A noter que les données suisses présentent des incohérences depuis le 15 mars car l'OFSP a "des problèmes de saisies".
>> Lire : Les annonces de nouveaux cas de coronavirus se font par fax
Selon les chiffres actuels, en Suisse plus de 35 personnes sur 100'000 sont donc désormais malades. Ce taux permet de comparer la propagation avec d'autres pays, bien que les statistiques nationales dépendent en partie du nombre, de l'ampleur et de la méthodologie des tests de dépistage effectués.
Les données disponibles indiquent que la Suisse fait actuellement partie d'un groupe de nations où la vitesse de propagation est particulièrement rapide. La courbe actuelle ressemble ainsi à celle de l'Italie.
"La propagation va continuer"
"Cette visualisation permet d'estimer où l'on se trouvera en termes de contamination ces prochains jours", explique Marcel Salathé, épidémiologiste à l'EPFL. "Nous ne faisons pas face à une loterie, mais face à une épidémie. La question ne se pose plus: la propagation va continuer et il est urgent de la limiter", avertit-il.
Contacté, l'OFSP a estimé qu'à ses yeux "il est trop tôt pour commenter ce type de chiffres", tout en précisant "ne pas être surpris par les données transmises" et rappelant les recommandations d'hygiène et de comportement "afin de ralentir la propagation de l’épidémie et soulager autant que possible le système de santé".
Pourtant, les données montrent des situations différentes, en particulier dans les pays asiatiques qui ont connu des événements épidémiques majeurs ces dernières années (H1N1, Mers et Sars) et se sont empressés de prendre des mesures face à la situation chinoise.
Ainsi, Hong Kong, Singapour, le Japon, Taiwan ou encore le Vietnam ont réussi à maintenir une courbe de contamination beaucoup plus plate. Un récent article de la NZZ soulignait les recettes locales: contrôles systématiques voire quarantaines pour les personnes provenant de zones touchées, limitation ou coupure des transports avec la Chine, rationnement et distribution de masques, transparence à l'aide d'outils en ligne...
Des spécialistes déçus par les autorités suisses
Au même moment et face à une situation similaire, en Suisse comme en Europe les connexions aériennes et ferroviaires en provenance de pays touchés ont été maintenues et les stratégies de dépistages et contrôles n'ont pas été coordonnées à l'échelle du continent.
"Je ne sais pas si la Confédération ne veut pas ou est incapable de prendre des mesures plus fortes", regrette Marcel Salathé, qui craint que les décisionnaires n'aient pas l'habitude de devoir prendre de telles décisions dans un temps si court. Le professeur de l'EPFL se dit pour l'instant "déçu par la lenteur des autorités suisses".
Pour Emma Hodcroft, épidémiologiste moléculaire à l'Université de Bâle, la Suisse a encore une chance à saisir. "Nous avons le luxe de l'avertissement italien, où les hôpitaux ont été débordés. Il reste une opportunité pour freiner la propagation et limiter l'impact sur le système de santé".
L'exemple coréen cité
La spécialiste voit un exemple à suivre: la Corée du Sud et sa courbe en baisse depuis quelques jours. "La vie de tous les jours en Corée du Sud est affectée, mais reste encore plus ou moins normale au vu des circonstances", relève-t-elle, mais les autorités ont fait des choix clairs. "Ecoles fermées, un maximum de télétravail, des aides gouvernementales pour les absences maladie, des soutiens économiques aux secteurs en souffrance et des tests de dépistages généralisés et gratuits", énumère Emma Hodcroft, qui espère voir la Suisse suivre le chemin coréen.
Pour rappel, à contre courant de cette dernière recommandation, l'OFSP a annoncé vouloir limiter le dépistage aux personnes à risque en Suisse. Entrent dans cette catégorie uniquement les personnes dont les symptôme sévères nécessitent une hospitalisation, celles qui présentent des risques accrus de complications et le personnel des hôpitaux et EMS.
Un taux de mortalité encore bas en Suisse, qui risque toutefois de monter
Avec environ 0,7% de cas mortels, la Suisse fait toujours partie des pays où le virus tue le moins. A titre de comparaison l'Italie est à près de 8%, la France à 2,2%, l'Allemagne à 0,3%. Marcel Salathé comme Emma Hodcroft estiment qu'il est trop tôt pour s'avancer sur le chiffre helvétique. "Le virus met entre 3 et 4 semaines pour tuer", rappelent-ils.
L'OFSP confirme et précise "qu'en étant qu'au début de l'épidémie en Suisse, à ce stade les chiffres présentent souvent une sous-estimation des décès car l’évolution de la maladie dure 2 à 4 semaines dans les cas sévères. L’issue de nombreux cas n’est pas encore connue."
Il faudra donc suivre l'évolution ces deux prochaines semaines pour obtenir un chiffre plus fiable et connaître la résilience du système de santé suisse. Actuellement, environ un tiers des malades en Suisse sont hospitalisés, entre 5 et 10% se trouvent aux soins intensifs, dont environ la moitié dépendent d'un respirateur artificiel, nous a affirmé l'OFSP, qui précise que ces chiffres sont incomplets car les déclarations des médecins ne sont pas toujours immédiates.
Selon les chiffres de la Société suisse de médecine intensive (SSMI), la Suisse compte actuellement entre 950 et 1000 lits, parmi lesquels entre 800 et 850 sont équipés de ventilateurs.
Marc Renfer