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Deux fois moins de patients de la pandémie aux soins intensifs genevois

Une salle de surveillance des patients en soins intensifs (HUG) [Olivier Hagon]
Immersion pendant une journée aux soins intensifs des HUG / La Matinale / 5 min. / le 21 avril 2020
La RTS s’est plongée pendant une journée dans le quotidien des soignants traitant les malades du Covid-19, au sein du Service des soins intensifs aux Hôpitaux universitaires de Genève.

Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), comme ailleurs en Suisse, le recul des hospitalisations en soins intensifs dues au Covid-19 se poursuit. Lundi, 34 personnes occupaient des lits dans ce service, dont 29 intubées. C'est presque deux fois moins qu'au plus fort de la crise. Le 3 avril, ils étaient encore 65 malades.

L’immense majorité de ces patients sont intubés et plongés dans un coma artificiel. Ils sont endormis pendant une période qui varie de 5 à 15 jours. La majorité des malades intubés s’en sortent. Dix-huit patients sont décédés dans le service sur environ 120 intubés, selon les chiffres de Jérôme Pugin, médecin-chef du Service des soins intensifs.

"Le taux de mortalité dans notre service, et sans doute ailleurs en Suisse, est vraiment inférieur à ce qu’on a pu voir ailleurs, comme en Italie. Sans doute parce que – même si c’était très tendu – nous n’avons jamais été submergés."

Du réconfort

Les infirmières décrivent leurs gestes médicaux, elles rassurent aussi les malades, en leur caressant le front, la main. "Prenez votre temps pour respirer, la machine vous aide. Tout à l’heure, vous aviez réussi. On recommence", dit une infirmière à un patient intubé, qui semble agité.

A écouter >> reportage aux soins intensifs de l'hôpital de Sion

Les soins intensifs de l'hôpital de Sion ressemblent à une fourmilière. [Keystone - Jean-Christophe Bott]Keystone - Jean-Christophe Bott
Reportage aux soins intensifs de l'hôpital de Sion, en Valais / Le 12h30 / 2 min. / le 18 avril 2020

Quand la crise sanitaire a éclaté, tous les hôpitaux et les lieux de soins se sont transformés, ont fait de la place pour accueillir les patients infectés par le Covid-19. Dans le service des soins intensifs des HUG, le médecin-chef Jérôme Pugin nous montre une salle à l’origine prévue pour recevoir un scanner. Elle a été convertie très vite pour accueillir les malades qui entrent dans ce service, en urgence.

"Ce sont des malades qui sont généralement en très mauvais état. Le lit arrive dans cette salle, il est pris en charge par une équipe dédiée à intuber le malade, lui mettre un tube dans la gorge, le mettre au respirateur, l’endormir", explique le médecin

Habillés comme des cosmonautes

La phase de l’intubation est le moment le plus délicat pour les soignants, avec un risque élevé de contamination, car la charge virale est importante. Pour se protéger le mieux possible, les intensivistes et les anesthésistes portent des combinaisons complètes, une protection sur le visage. "Ils sont déguisés comme des cosmonautes", résume Jérôme Pugin.

Les combinaisons de protection que doivent porter les soignants pour intuber et extuber des patients [Olivier Hagon]
Les combinaisons de protection que doivent porter les soignants pour intuber et extuber des patients [Olivier Hagon]

Ce matin-là, à 10h, une nouvelle patiente arrive. Elle va être intubée. En ce moment, il y a une ou deux intubations par jour, alors qu’il y a en avait dix au plus fort de la crise. "Cette dame n’est bientôt plus conscience, décrit Jérôme Pugin. Elle est concentrée sur sa respiration. Là, elle est endormie. Les soignants ont passé les drogues, ils positionnent la tête. L’anesthésiste met un tube dans la gorge de la malade. Le tube est branché au respirateur. Il va suppléer la fonction de respiration pendant une dizaine, une quinzaine de jours chez cette personne."

L'intubation n'est pas un acte anodin

Alain-Stéphane Eichenberger est médecin-adjoint en anesthésie aux HUG. C’est lui qui a intubé cette malade. "La tension est redescendue d’un cran par rapport à il y a plusieurs semaines. On sait exactement ce qu’on doit faire. On travaille en équipe. C’est presque comme il y a un ou deux mois. Presque." Mais il l’admet, intuber un patient "c’est un petit stress à chaque fois. C’est l’inconnue, parfois on peut avoir des intubations difficiles et imprévues, parfois c’est simple. Cela fait vingt ans que je le fais, c’est quelque chose qu’on apprend à gérer."

Depuis le début de la crise sanitaire, cet anesthésiste, comme des dizaines d’autres collaborateurs, apprend à travailler avec d’autres équipes, d’autres collègues qu’il ne connaît pas, issus d’autres services.

Des renforts d'autres services

Une aventure humaine, pour Emilie, infirmière en soins intensifs. Elle travaille depuis dix ans dans ce service, "mais c’est complètement différent de ce que je fais habituellement, dit-elle. Je suis dans des locaux avec des équipes que je connais, et d’autres que je ne connais pas. C’est particulier, mais en même temps c’est extraordinaire tout ce qui s’articule autour des prises en charge des patients. On vient de plein de services différents, mais tous avec le même objectif : la prise en charge du patient. C’est génial."

Une salle de surveillance des patients en soins intensifs (HUG) [Olivier Hagon]
Une salle de surveillance des patients en soins intensifs (HUG) [Olivier Hagon]

L’aventure humaine est extraordinaire. Et souvent déstabilisante pour les soignants qui ont été appelés en renfort, et qui n’ont pas l’habitude de travailler en soins intensifs, avec des patients très malades, et des décès. "On se dit souvent qu’on ne fait pas bien les choses, parce qu’on ne connaît pas le matériel, le logiciel. On n’est pas dans nos locaux. Ce n’est pas le même métier", raconte Mireille, 60 ans, infirmière anesthésiste.

Elle travaille dans le service des soins intensifs depuis le début de la crise sanitaire. Quand elle a été appelée, elle s’est sentie angoissée. "Juste avant de venir pour mon premier jour, je me suis dit que c’était la première fois que j’avais peur de venir travailler. On est obligé de venir, donc de toute façon on vient. Heureusement, les infirmiers ici nous ont bien encadrés, mais c’est dur. J’ai moins cette angoisse de venir maintenant." Mais on sent toujours que l’émotion est vive.

Des journées de douze heures

Les soignants que nous avons rencontrés estiment que l’enjeu de cette crise sanitaire en Suisse, ce n’est pas en premier lieu le matériel – dont nous n’avons pas ou peu manqué – mais bien le personnel, car la fatigue, voire l’épuisement, guette.

D’autant que le Covid-19 ne s’arrête pas aux portes de l’hôpital ; certains soignants ont peur de ramener le virus à la maison, beaucoup sont confrontés à des troubles du sommeil. Et les journées – ou les nuits – de travail sont longues: douze heures. Des voix s’élèvent pour demander une revalorisation des métiers des soins.

Olivier Hagon, médecin adjoint au Service de médecine tropicale et humanitaire des HUG, actif en soins intensifs depuis un mois, en fait partie. "Il faut montrer la valeur extraordinaire des soignants, au sens large. Les médecins et les infirmières, mais aussi les aides-soignants, le personnel qui s’occupe de la technique, de l’entretien. Cela passe par une revalorisation. Ce serait un juste retour des choses."

Dessins d'enfants affichés sur les murs des soins intensifs des HUG [Olivier Hagon]
Dessins d'enfants affichés sur les murs des soins intensifs des HUG [Olivier Hagon]

Pauline Rappaz

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Des leçons à tirer de la crise sanitaires

Avec la crise sanitaire, les équipes, les lieux de soins ont dû très vite s’adapter. Il a fallu réquisitionner d’autres soignants, des militaires, du matériel aussi. Il a fallu faire de la place pour les patients, nombreux, et apprendre à travailler autrement.

Olivier Hagon, médecin adjoint au Service de médecine tropicale et humanitaire des HUG, estime, comme d’autres soignants, qu’il faudra tirer les leçons de la période actuelle, capitaliser tout ce que le milieu médical a appris.

Car "malheureusement, on sait que les catastrophes naturelles sont plus nombreuses, et d’une intensité plus importante. Et les maladies virales émergentes vont augmenter. Mieux se préparer, ce sera peut-être avoir davantage de matériel en stock. Avoir peut-être une autonomie nationale quant à la production de masques, de lunettes de protections, de gants, de surblouses, pour que la dépendance envers d’autres pays soit plus faible, pour pouvoir prendre soin de notre population le mieux possible", souhaite-t-il.

L'intubation, geste principal des soins intensifs aux malades du Covid-19

Dans l’immense majorité des cas, les patients infectés par le Covid-19 et qui sont admis en soins intensifs sont intubés. Aux HUG, le premier malade est arrivé au début du mois de mars, dans un contexte très particulier.

"Le premier malade était une femme. A ce moment-là, on entendait des choses très inquiétantes et difficiles de l’autre côté des Alpes, en Lombardie, en Italie du Nord", se souvient Jérôme Pugin, médecin-chef du Service des soins intensifs des HUG. "Nos collègues intensivistes étaient sous l’eau, ils devaient faire des choix, des triages de malades. On était dans cette ambiance-là."

La courbe a ensuite été exponentielle à Genève et ailleurs, avec de plus en plus de malades, jusqu’à 80 en soins intensifs aux HUG. On en prédisait davantage – une centaine de plus –, "mais ce n’était pas dans nos possibilités. Heureusement, la situation s’est contrôlée. Probablement aussi parce que la population suisse a joué son rôle dans le confinement et dans le respect des précautions. L’aplatissement de cette courbe épidémique a fonctionné dans notre pays."

Pendant plusieurs jours, les patients se sont accumulés. Mais l’espoir est arrivé, après une dizaine de jours: un malade a montré des signes de réveil, a répondu aux ordres simples – serrez-moi la main, ouvrez les yeux. "Quelques heures plus tard, on a enlevé le tube. Et ça, c’est quelque chose qu’on célèbre. On a tout de suite appelé sa femme, sa fille de cinq ans. C’étaient des moments d’émotions intenses. Des moments qu’on a pu répéter des dizaines de fois."

Quant aux séquelles laissées par l’intubation, elles sont variables. Selon Jérôme Pugin, certains patients s’en sortent très bien."D’autres se réveillent dans un état confusionnel, "ils ne savent pas très bien où ils sont, ils ne comprennent pas ces bruits, ces gens ‘déguisés’ autour d’eux", décrit-il. Et puis certains sont dans un état de stress post-traumatique "un peu comme les soldats quand ils rentraient de la guerre en Irak, avec des problèmes de sommeil, d’attention, de sociabilisation. Nous avons des programmes pour essayer de réduire tout ce stress", explique-t-il.