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La Suisse veut acheter des centaines de millions de masques, à quel prix?

Sur mandat de la Confédération, l’armée s’apprête à acquérir des centaines de millions de masques pour la population
Sur mandat de la Confédération, l'armée s’apprête à acquérir des centaines de millions de masques pour la population / 19h30 / 2 min. / le 21 avril 2020
Masques d'hygiène et de protection, gants, désinfectants, kits de test, appareils respiratoires: pour lutter contre le coronavirus, le Conseil fédéral demande un crédit de 2,1 milliards de francs pour des achats de matériel sanitaire. Certains craignent que la Suisse ne paie trop cher.

C'est une liste de courses un peu particulière, avec des quantités faramineuses et des montants se chiffrant en centaines de millions de francs. On y trouve, entre autres, plus de 500 millions de masques, près de 200 millions de gants jetables, des dizaines de millions de désinfectants, plusieurs millions de kits de test ou encore 1000 appareils respiratoires.

Il s'agit du catalogue des acquisitions prévues par la Confédération dans le cadre de la lutte contre la pandémie de coronavirus, pour la seule période allant du 1er mai au 31 août 2020. La liste est contenue dans une lettre du Conseil fédéral datée du 16 avril et adressée aux membres des commissions des finances du Parlement. La facture totale s'élève à 2,1 milliards de francs.

Des millions de masques déjà achetés

Ce supplément au budget 2020 sera examiné par la Commission des finances du National en fin de semaine et par celle des Etats en début de semaine prochaine. Sur les 2,1 milliards de francs demandés par le gouvernement, 700 millions ont d'ores et déjà été approuvés par la Délégation des finances des Chambres, qui a retenu le caractère urgent de ces fonds.

En coordination avec l'Office fédéral de la santé publique (OFSP), c'est la pharmacie de l'armée qui a été chargée d'assurer, en appui aux cantons et aux hôpitaux, l'approvisionnement du système de santé en matériel sanitaire. Un premier crédit de 350 millions de francs pour deux mois avait déjà été demandé et approuvé en urgence le mois dernier.

L'effort porte ses fruits et les premières livraisons ont déjà eu lieu. L'armée a pu fournir 21 millions de masques aux cantons et elle possède un stock de 19 millions d'unités, indique le responsable de ces achats, le brigadier Markus Näf. De plus, 80 millions de masques d'hygiène supplémentaires sont attendus dans les prochains jours.

"Les moyens de production ont fortement augmenté en Asie. Le problème, à présent, c'est le transport de ces produits d'Asie vers la Suisse", explique le responsable. Pour gérer au mieux les dizaines de vols nécessaires pour acheminer le matériel dans notre pays, l'armée a d'ailleurs mis en place une cellule de coordination. Elle dispose en outre d'un hangar à Shanghai.

Des masques payés trop cher?

Les acquisitions de matériel sanitaire s'apparentent toutefois à un jeu d'équilibrisme politico-financier. Tout d'abord critiquée pour n'avoir pas suffisamment anticipé la crise, notamment au niveau des stocks de masques, la Confédération fait face aujourd'hui aux craintes d'élus qui redoutent de voir la Suisse payer trop cher, dans un marché mondial devenu extrêmement tendu.

Certains s'étonnent en effet des sommes prévues dans le supplément de budget - 1,20 franc l'unité pour les masques d'hygiène, 8 francs par masque de protection (FFP2 et FFP3). Ces prix seraient jusqu'à quatre fois plus élevés que ce que paient les privés pour des produits équivalents en Asie, affirmait le conseiller national Franz Grüter (UDC/LU) dans la presse dominicale.

>> Le sujet de TTC sur les achats de masques par les privés (20 avril 2020) :

TTC Les masques, un marché énorme où l'on voit apparaître des nouveaux acteurs et des prix qui flambent
TTC Les masques, un marché énorme où l'on voit apparaître des nouveaux acteurs et des prix qui flambent / 19h30 / 6 min. / le 20 avril 2020

"Ces prix nous ont aussi paru élevés", reconnaît le président de la Délégation des finances Peter Hegglin (PDC/ZG), qui a dû approuver une première partie du crédit la semaine dernière. Le risque serait, selon lui, que la Confédération ne puisse revendre ses masques achetés au prix fort aux cantons et aux hôpitaux, si ceux-ci venaient à s'approvisionner via d'autres canaux moins coûteux.

Le conseiller aux Etats demande donc à l'armée d'être particulièrement attentive au prix et de bien comparer les offres. "Et il ne faut pas acheter plus que ce qu'on est certain d'utiliser", ajoute Peter Hegglin. Il recommande ainsi au Conseil fédéral de se coordonner avec les autorités cantonales pour évaluer les besoins puis de se borner à préfinancer les achats, et seulement ceux qui sont nécessaires.

La Suisse mise aussi sur la production indigène

Markus Näf se veut quant à lui rassurant. Les 2,1 milliards de francs demandés par le gouvernement sont un maximum. Il est tout à fait possible que l'entier ne soit pas utilisé et que l'armée puisse acheter à un meilleur prix que celui prévu. "A la fin, si nous avons assez de matériel, nous verrons s'il serait possible de le distribuer, de sorte que nous puissions contribuer à un retour à la normale de l'économie", précise encore le brigadier.

Pour l'heure, la Confédération ne recommande pas le port généralisé du masque, mais celui-ci sera sans doute un enjeu décisif dans la phase de déconfinement qui débutera la semaine prochaine. A côté des importations, la Suisse compte d'ailleurs également sur la production indigène - encore très marginale - pour couvrir les besoins en masques du personnel soignant et de la population.

>> Le reportage du 19h30 sur la production indigène de masques (15 avril 2020) :

Le masque sera sans doute un des enjeux majeurs du déconfinement.
Le masque sera sans doute un des enjeux majeurs du déconfinement. / 19h30 / 2 min. / le 15 avril 2020

Pierre Nebel et Didier Kottelat

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