Sept semaines après la fin abrupte de la session de printemps, le Parlement se réunit à nouveau. Respect des distances oblige, les élus ont délaissé le Palais fédéral et se sont exilés à Bernexpo, pour une session extraordinaire d'une semaine consacrée entièrement à la crise du coronavirus.
En plus d'un grand débat sur les demandes de supplément au budget déposées par le Conseil fédéral, le Conseil national et le Conseil des Etats se prononceront sur une quarantaine de motions et de postulats déposés par les commissions des deux Chambres.
GRAND DÉBAT SUR LA CRISE
Lundi matin, c'est à la présidente du Conseil national Isabelle Moret que reviendra l'honneur d'ouvrir cette session, suivie par la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga. Les quelques heures qui suivront seront consacrées à un grand débat général sur la crise.
En a-t-on trop fait ou pas assez? Le remède est-il pire que le mal? Ce débat de plusieurs heures - diffusé dès 10h00 en direct sur RTS Deux et sur RTSinfo.ch - permettra aux partis d'exprimer leur avis sur la gestion de la crise. Des prises de position spectaculaires, mais sans réelle portée politique.
Un exercice similaire aura lieu au Conseil des Etats. Mais dans la Chambre des cantons, réputée plus posée que celle du peuple, le débat devrait être moins enflammé. C'est néanmoins peut-être là qu'on pourra déceler les traces d'un "Coronagraben", un fossé entre Latins et Alémaniques.
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SUPPLÉMENT AU BUDGET 2020
L'examen du supplément au budget 2020 de la Confédération est le gros morceau de cette session extraordinaire. Le Parlement doit notamment avaliser les crédits d'engagement de quelque 42 milliards de francs demandés par le Conseil fédéral pour cautionner des prêts aux entreprises. Objectif: garantir des liquidités aux PME et éviter des faillites. Ces cautionnements ne sont pas contestés par les partis.
Craignant des abus, la commission de l'économie du National a toutefois déposé une motion pour demander la mise sur pied d'un système de contrôle. Les commissions des finances réclament en outre, contre l'avis du gouvernement, la garantie d'un taux d'intérêt à 0% jusqu'à l'échéance des prêts et un allongement du délai de remboursement de cinq à huit ans.
Des crédits supplémentaires à hauteur d'environ 16 milliards de francs sont également demandés. Il s'agit notamment de verser une contribution en faveur de l'assurance-chômage (6 milliards), de financer le régime des allocations pour perte de gain (5,3 milliards), d'acheter du matériel sanitaire en urgence (2,45 milliards) ou de venir en aide aux secteurs de la culture (280 millions) et du sport (100 millions).
SOUTIEN À L'AVIATION
L'aide au secteur aérien, c'est LA grande inconnue du débat sur le budget. Alors que la plupart des autres demandes de crédits supplémentaires devraient être approuvées sans trop de problème, le soutien à l'aviation - comprenant deux crédits d'engagement d'un montant total de 1,875 milliard de francs et un crédit budgétaire de 600 millions de francs - fera l'objet d'une vif débat gauche-droite.
Les crédits en eux-mêmes ne sont pas contestés, tout comme la révision partielle de la loi fédérale sur l'aviation, nécessaire pour créer une base légale à l'octroi des aides. Mais les conditions posées par le Conseil fédéral pour ce soutien financier, comme l'interdiction du versement de dividendes, sont insuffisantes, selon les commissions des finances des deux Chambres. Ces dernières proposent donc de conditionner l'aide aux compagnies aériennes à des exigences en matière environnementale ou sociale.
Une minorité de droite voudrait cependant biffer toute référence aux objectifs climatiques du Conseil fédéral. A l'inverse, la gauche va tenter de durcir ces conditions. Plusieurs propositions de minorité ont été déposées. Elles exigent par exemple un engagement formel des bénéficiaires en faveur d'une réduction des gaz à effet de serre, de l'introduction d'une taxe sur les billets d'avion, du développement de carburants synthétiques ou encore d'une réduction des vols intérieurs.
LOYERS COMMERCIAUX
Hormis l'aide au secteur aérien, l'autre incertitude majeure concerne la question des loyers commerciaux. Jusqu'à présent, le Conseil fédéral est resté sourd aux appels pour venir en aide aux commerçants qui ont dû fermer leur établissement en raison des mesures de lutte contre le coronavirus. Plusieurs commissions ont donc déposé des motions pour tenter de forcer la main du gouvernement.
La proposition de la commission de l'économie du National, adoptée par 13 voix contre 10 et 2 abstentions, veut exempter de 70% de leur loyer les exploitants de restaurants et autres établissements fermés sur décision du gouvernement, et ce aussi longtemps que dure l'interdiction d'ouverture. Une minorité formée par plusieurs membres UDC de la commission propose de rejeter la motion, tout comme le Conseil fédéral.
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Opposée elle aussi à cette motion, la commission de l'économie des Etats a soumis sa propre solution. Elle propose, sous conditions, une exonération totale de loyer pendant deux mois pour les petites entreprises et les indépendants dont le loyer brut ne dépasse pas 5000 francs par mois. Seules les charges seraient perçues. Les pertes seraient à la charge des propriétaires.
Pour les loyers supérieurs à 5000 francs, la question devrait être réglée entre bailleurs et locataires, grâce à un système d'incitation. En cas d'entente, le locataire paierait un tiers du loyer brut et la Confédération s'acquitterait d'un autre tiers (mais au maximum 3000 francs). Le troisième tiers serait à la charge du bailleur.
Cette proposition, rejetée par le Conseil fédéral, a reçu le soutien de l'Association Immobilier Suisse (AIS), qui regroupe les investisseurs institutionnels du secteur. Un crédit supplémentaire de 50 millions de francs en faveur de l'Office fédéral du logement pour financer ce système a d'ores et déjà été proposé par la commission des finances des Etats dans le cadre l'examen du supplément au budget 2020.
SOUTIEN À L'ACCUEIL EXTRAFAMILIAL
Les crèches n'ont jamais été fermées par le Conseil fédéral. Pourtant, les institutions proposant un accueil extrafamilial pour enfants ont subi de lourdes pertes financières en raison de la crise, et la faillite menace certaines d'entre elles. Pour venir en aide à ces structures, les commissions de la science, de l'éducation et de la culture des deux Chambres ont lancé chacune une motion.
Similaires, les deux propositions demandent à la Confédération d'indemniser à hauteur de 33% au moins les cantons et les communes pour leurs charges liées à la compensation des pertes de recettes des crèches. Dans cette optique, un crédit de 100 millions de francs est soumis au National. La commission des finances des Etats, moins généreuse, propose 65 millions de francs.
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AIDE D'URGENCE AUX MÉDIAS
Depuis le début de la crise du coronavirus, la presse et les médias électroniques enregistrent des records d'audience. Et pourtant, les rentrées publicitaires sont en chute libre, avec des baisses allant parfois jusqu'à 95%, mettant en danger la survie de bon nombre de médias. Alarmées par cette situation paradoxale, les commissions des télécommunications des deux Chambres ont lancé deux motions.
Le premier texte, adopté à l'unanimité par les commissions du National et des Etats, propose de puiser 30 millions de francs supplémentaires dans les réserves de la redevance radio-TV, afin d'aider les radios et télévisions privées. Ce fonds, constitué pour parer le risque de fluctuation, est actuellement doté de 60 millions de francs.
La seconde motion est plus contestée. Adoptée à une large majorité par la commission des Etats, elle a passé la rampe de justesse au National. Elle "charge le Conseil fédéral de prendre des mesures immédiates" afin d'assurer une solution transitoire, dans l'attente de l'adoption - cet automne - du train de mesures en faveur des médias annoncé par le gouvernement.
Parmi les mesures transitoires réclamées par le texte, on trouve notamment la distribution gratuite des journaux locaux et régionaux (25 millions de francs) ainsi que des autres quotidiens (10 millions de francs). L'Agence télégraphique suisse devrait également disposer de moyens supplémentaires pour proposer gratuitement son service de base en trois langues.
TEST ET PRÉVENTION
Le Parlement n'entend pas seulement intervenir dans la gestion des conséquences de la crise, mais compte aussi faire entendre sa voix dans la lutte contre la pandémie elle-même. Dans cette optique, deux motions identiques sont soumises au Conseil des Etats et au Conseil national. Elles chargent notamment la Confédération d'analyser les stratégies de lutte contre le coronavirus prises à l'international puis d'évaluer leur efficacité.
Plus concrètement, les deux textes demandent au Conseil fédéral de se préparer à une éventuelle deuxième vague et listent un catalogue de mesures: isolement des personnes infectées, protection des personnes à risque, acquisition d'équipements de protection, de tests, de médicaments, etc. D'autres mesures, comme le soutien à la recherche dans le domaine de la virologie et de la bactériologie, sont aussi prévues.
La commission de la sécurité sociale et de la santé publique des Etats a en outre déposé une autre motion. Son objectif: améliorer la sécurité de l'approvisionnement en médicaments et en vaccins. L'augmentation de la production en Suisse ou en Europe, l'accroissement des stocks ou encore la conclusion de contrats d'achat internationaux figurent parmi les pistes envisagées.
TRACAGE DES CONTACTS
Dans la cadre de la stratégie de levée des mesures de restriction, la future application de traçage des contacts, qui devrait être lancée à la mi-mai, a passablement fait parler d'elle récemment. Cette application doit permettre à ses utilisateurs d'être avertis s'ils ont été en contact avec une personne testée positive au virus. Son installation serait facultative et aucune donnée ne serait sauvegardée de manière centralisée, assurent ses concepteurs.
Selon un sondage réalisé par la société de conseil Deloitte, 64% des Suisses seraient favorables à cet outil. Les commissions des institutions politiques du National et des Etats sont moins enthousiastes. Même si elles ne s'opposent pas au lancement d'une telle application, elles redoutent les conséquences en matière de sphère privée et réclament par le biais d'une motion la mise en place d'une base légale solide.
Didier Kottelat