Parlementaires, experts en droit international et organisations
des droits de l'homme se sont insurgés lundi. Daniel Vischer
(Verts/ZH), président de la commission des affaires juridiques du
Conseil national, a qualifié lundi sur les ondes de la radio
alémanique DSR l'affaire de «scandale». Il a promis d'engager «un
débat politique» au parlement.
Amnesty International fâchée
L'organisation des droits de l'homme Amnesty International (AI)
dénonce pour sa part le «double langage» de la Suisse. D'une part,
la Suisse exige que le chapitre consacré à l'interdiction de la
torture dans les Conventions de Genève soit respecté à
Guantanamo.
Dans le même temps, le Ministère public de la Confédération (MPC)
collabore avec les institutions responsables des mauvais
traitements infligés aux prisonniers dans la base américaine,
dénonce Jürg Keller, porte-parole d'AI. «Nous sommes choqués»,
ajoute-t-il.
Des faits avérés
La présentation des photos est avérée, relève le quotidien
alémanique «Blick» lundi. Dans leur rapport annuel, la Commission
de gestion du Conseil des Etats et la Délégation des commissions de
gestion en font brièvement mention. Le MPC a transmis les
photographies à la police fédérale américaine, le FBI, qui les a
montrées aux détenus de Guantanamo.
Selon le rapport, le MPC a indiqué à la Délégation des commissions
de gestion s'être «adressé à l'instance judiciaire américaine
compétente en passant par la voie de la coopération policière
internationale». «Le but de cette démarche était de savoir si
certains détenus connaissaient des personnes mises en examen en
Suisse et si ces personnes avaient été vues à proximité ou dans les
camps d'entraînement en Afghanistan», poursuit le texte de la
commission.
Torture à Guantanamo problématique
Le rapport ne dit rien en revanche des renseignements
qu'auraient pu obtenir les policiers américains. Il mentionne
simplement le fait que le MPC a agi «par le truchement de la voie
prévue par la procédure d'entraide judiciaire». La DélCdG dit se
contenter de ces réponses et estime qu'il n'y avait pas lieu de
demander au Parlement de prendre des mesures de «haute
surveillance».
Amnesty International s'insurge contre cette conclusion. «Il nous
faut des lois qui interdisent à toute institution suisse de
collaborer avec un organe dont les pratiques de la torture sont
avérées», affirme Jürg Keller. La Suisse n'est pas seulement
dépositaire des Conventions de Genève sur les droits de l'homme,
elle a également signé la Convention internationale contre la
torture, ajoute le porte parole. Cette convention interdit à tout
tribunal d'utiliser des informations obtenues sous la
torture.
ats/hof
Preuves peu intéressantes juridiquement
Franz Wicki (PDC/LU), président de la commission des affaires juridiques du Conseil des Etats, doute que les éventuelles réponses apportées par des détenus de Guantanamo aient un quelconque intérêt: car pour un juriste, de telles «preuves» n'ont aucune valeur.
Le professeur de droit pénal zurichois Wolfgang Wohlers considère pour sa part que le MPC, avec sa manière d'agir, compromet ses propres procédures judiciaires, et «se tire une balle dans le pied».
«Je voudrais souligner qu'on ne peut pas utiliser devant un tribunal des preuves découlant indirectement d'une confession obtenue sous la torture», relève Wolfgang Wohlers.
En lien avec un procès en cours en Suisse
La démarche du MPC s'inscrivait dans le cadre d'une enquête sur cinq Yéménites, un Somalien et un Irakien jugés actuellement par le Tribunal pénal fédéral à Lugano.
Ils sont accusés notamment d'avoir des «liens avec des organisations terroristes».