Erwin Sperisen, c'est cet ancien chef de la police guatémaltèque, condamné à Genève à 15 ans de réclusion pour complicité d'assassinats sur sept détenus au Guatemala. Le Tribunal fédéral a confirmé ce jugement le 14 novembre dernier.
>> Lire aussi : La justice confirme la peine d'Erwin Sperisen pour complicité d'assassinat
Le problème, c'est que l'arrêt mentionne à plus de 120 reprises le nom de Javier Figueroa, le bras droit d'Erwin Sperisen. Et il y est décrit comme étant l'auteur principal des crimes en question. "Celui-là (Javier Figueroa, ndlr) faisait bel et bien partie du commando de tueurs, auquel il donnait des instructions, et qui comprenait son propre frère", écrivent notamment les magistrats. "De nombreux autres éléments constituaient des indices du rôle actif joué par Javier Figueroa au sein du commando criminel."
Or, Javier Figueroa a été acquitté de ces mêmes faits par le Tribunal de grande instance de Ried im Innkreis, en Autriche, le 10 octobre 2013. Un élément que ne pouvaient ignorer les cinq juges de Mon-Repos, puisqu'ils avaient mentionné cet acquittement dans un autre arrêt, rendu en 2017, sur le même thème.
Plainte instruite par le canton de Vaud
Le bras droit d'Erwin Sperisen a dès lors déposé le 24 février dernier deux plaintes pénales pour diffamation et calomnie, a appris la RTS. "Une telle atteinte à mon honneur comme à la protection que me confère l'art. 6 al. 2 de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en cas d'acquittement définitif est intolérable", s'offusque-t-il.
La première plainte a été déposée devant le Ministère public de la Confédération (MPC) et l'autre, auprès du canton de Vaud, où se situe le Tribunal fédéral. Le MPC n'étant pas compétent pour les délits contre l'honneur, c'est au procureur général vaudois Eric Cottier que revient la charge de s'occuper de ce dossier. "Le Ministère public du canton de Vaud confirme avoir reçu la plainte de M. Figueroa", se contente-t-il d'indiquer à la RTS.
L'enquêteur de Crypto accusé
La plainte vise les cinq magistrats qui ont rendu l'arrêt litigieux. Parmi eux se trouvent le président de la Cour de droit pénal du Tribunal fédéral, Christian Denys, et un certain Niklaus Oberholzer. Le Saint-Gallois de 66 ans, qui a récemment quitté la magistrature, est connu notamment pour avoir investigué sur l'affaire des fiches, il y a 30 ans.
Mais surtout, il vient d'être mandaté par le Conseil fédéral pour faire toute la lumière sur l'épineuse affaire Crypto AG. Cette entreprise zougoise aurait permis aux espions allemands et américains d'avoir accès à des données sensibles durant de nombreuses années. Son rapport est attendu pour le mois prochain.
>> Lire aussi : Niklaus Oberholzer, l'homme qui devra débrouiller l'affaire Crypto
Niklaus Oberholzer, l'enquêteur en chef de cette affaire, pourrait donc se retrouver, à l'instar de ses quatre acolytes, sous le coup d'une demande de levée d'immunité devant l'Assemblée fédérale, en cas de mise en prévention. Contacté, il n'a pas répondu à nos sollicitations.
Demande de révocation
Parallèlement, les avocats de Javier Figueroa, Me Charles Poncet et Me Pierre Schifferli, ont saisi le Tribunal fédéral pour demander la révocation de l'arrêt en question. Ils s'appuient sur un avis de droit du professeur honoraire de l'Université de Genève Christian-Nils Robert, qui confirme l'atteinte à l'honneur. "Le TF (Tribunal fédéral, ndlr) connaît la fausseté de ses allégations", assène-t-il en référence à l'arrêt de 2017 qui mentionnait l'acquittement de Javier Figueroa.
Ses avocats ont également alerté les commissions de gestion des deux Chambres fédérales, à Berne, ainsi que la présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga.
Le Tribunal fédéral confirme à la RTS l'ouverture d'une procédure. Celle-ci n'est pas anodine: une révocation de l'arrêt casserait le jugement de confirmation de culpabilité d'Erwin Sperisen, établi le 14 novembre. Elle obligerait les juges de Mon-Repos à statuer à nouveau sur le sort de l'ancien chef de la police guatémaltèque, actuellement en prison.
Raphaël Leroy