Le ministre des finances a rejeté avec véhémence les reproches
«unilatéraux» formulés par Bruxelles (voir
ci-contre). La décision de la Commission européenne, qui
invoque une violation de l'accord de libre-échange de 1972 en
raison des allègements fiscaux qu'offrent certains cantons aux
entreprises étrangères, est «infondée», a-t-il martelé mardi devant
la presse.
Aucune violation, dit Berne
Il n'existe aucune règle contractuelle entre la Suisse et
l'Union européenne (UE) exigeant une harmonisation de l'imposition
des sociétés. Par conséquent, il ne peut être question de violation
d'un quelconque accord, selon un des
Départements fédéraux des Finances, des Affaires étrangères et de
l'Economie.
Sans compter que l'accord de libre-échange invoqué règle
exclusivement le commerce de certaines marchandises, a lancé
Hans-Rudolf Merz. Il ne constitue donc pas une base juridique
suffisante pour évaluer si l'imposition des sociétés entraîne une
distorsion de la concurrence. La Suisse ne fait pas partie du
marché intérieur européen.
Pourtant, l'UE essaie de lui imposer la reprise intégrale de ses
règles concernant la concurrence et les aides d'Etat, a estimé le
conseiller fédéral. «C'est inacceptable, car nous ne sommes pas
membres de l'UE et n'avons pas participé à l'élaboration de ce
droit».
Pas peur des sanctions
Hans-Rudolf Merz ne craint pas de possibles sanctions de la part
de Bruxelles. Pour l'instant, il n'est question que d'éventuelles
négociations. S'il s'agissait d'appliquer des mesures à l'encontre
de la Suisse, certains pays refuseraient, empêchant l'unanimité
nécessaire dans ces cas-là, a jugé le radical.
La Commission européenne n'a même pas encore de mandat de
négociation. «Et de toute façon, nous ne négocierons pas».
Pas question cependant d'entrer en guerre avec Bruxelles. Les
Vingt Cinq n'ont pas non plus intérêt à se froisser avec la Suisse,
qui constitue leur deuxième marché d'exportation en ordre
d'importance.
Riposte en préparation
Le conseiller fédéral prépare
néanmoins un arsenal de ripostes. Dans l'UE aussi, il y a des cas
de distorsion de la concurrence par le biais d'aides étatiques,
a-t-il glissé sans vouloir donner d'exemple concret. Berne compte
désormais répertorier ces cas.
Mais il s'agit surtout d'expliquer le système helvétique aux
politiques européens. Hans-Rudolf Merz a d'ailleurs tenté de
relativiser le différend avec Bruxelles en le taxant de simple
«problème de communication».
Trois milliards en jeu
Face aux questions de la presse, il a quand même admis que la
démarche de l'UE vise à entraver l'implantation en Suisse de
holdings et d'autres sociétés européennes, voire à faciliter leur
retour en Europe. Il y va en effet de quelque 3 milliards de francs
par an.
La Suisse entend maintenir et, si possible, améliorer la
compétitivité de sa place économique pour les investisseurs suisses
et étrangers. Le Conseil fédéral n'acceptera aucune entrave en la
matière, précise l'Appenzellois. Et de conclure que malgré son
système fédéraliste offrant une large autonomie aux cantons, la
Suisse respecte les règles internationales en matière de
fiscalité.
ats/nr/hof
Les exigences de Bruxelles
La Commission européenne a décidé mardi que les privilèges fiscaux accordés par certains cantons aux entreprises étaient incompatibles avec l'accord de libre-échange (ALE) de 1972 conclu entre la Suisse et l'UE. Elle a demandé aux Etats membres un mandat de négociations concernant ce différend.
Avec ses deux décisions - l'incompatibilité et la demande d'un mandat de négociations -, l'exécutif européen vise les privilèges fiscaux accordés par certains cantons aux entreprises qui y ont le siège de leur holding, mais qui réalisent leurs bénéfices à l'étranger.
Selon l'exécutif européen, ces régimes offrent des avantages fiscaux déloyaux aux entreprises établies en Suisse, pour des profits réalisés dans l'UE. Bruxelles mentionne les législations fiscales de Zoug et Schwyz.
«La Suisse bénéficie des avantages liés à un accès privilégié au marché intérieur et doit accepter les responsabilités qui en découlent», a déclaré la commissaire européenne aux relations extérieures Benita Ferrero-Waldner.
L'exécutif européen invite la Suisse à modifier ces régimes fiscaux pour les rendre conformes à l'accord de 1972. La Commission européenne «débattra avec les Etats membres de la suite à réserver à la procédure en vue de négocier avec la Suisse.
Réactions tous azimuts
Il n'y a pas lieu de modifier la pratique fiscale suisse, même après la demande européenne, estime le PRD. Ne faisant pas partie de l'UE, la Suisse peut donc décider elle-même de sa fiscalité.
L'UDC de son côté dénonce cette "ingérence" et réclame un débat urgent lors de la session de printemps. Selon elle, l'UE "se montre de plus en plus effrontée".
Le PDC voit la «provocation» de Bruxelles comme une attaque intenable.
Le PS apporte une réaction plus nuancée: on peut douter qu'un accord de libre-échange sur les marchandises puisse être invoqué pour régler un litige de nature fiscale. Mais rien ne sert de s'arc-bouter et de refuser le dialogue.
Les directeurs des finances cantonaux rejettent aussi la demande. Leur présidente Eveline Widmer-Schlumpf souligne que les deux dossiers n'ont pas de rapport.
Cette remise en question a posteriori de la part de la Commission n'est pas justifiée, aux yeux d'Economiesuisse.
Enfin, l'Association pour une Suisse indépendante et neutre rejette "l'ingérence arrogante et antidémocratique" de la Commission.