Comment expliquer cette plus grande visibilité des personnes à transidentité? Est-ce plus facile de l'assumer en 2020? La jeune génération est-elle plus ouverte? Quelles sont encore les limites à cette visibilité, à cette reconnaissance (lire encadré)?
Adèle Zufferey, psychologue auprès de la fondation Agnodice qui accompagne les jeunes transgenres et leurs familles, et Lynn Bertholet, fondatrice et présidente d'Epicène, association d'utilité publique en faveur des personnes trans, étaient les invitées de la séquence "L'époque" de La Matinale de samedi au micro de Yann Amedro pour parler de ce sujet.
Dimanche 17 mai est par ailleurs la Journée mondiale contre l'homophobie, la transphobie et la biphobie. Une date spécifiquement choisie pour commémorer la décision de l'Organisation mondiale de la santé en 1990 de déclassifier l'homosexualité en tant que trouble mental.
"On parle beaucoup plus de transidentité dans les médias, dans les écoles. C'est un progrès mais il y a encore beaucoup de chemin à faire", explique Lynn Bertholet. Adèle Zufferey note qu'il y a une plus grande ouverture dans la société d'aujourd'hui: "Les jeunes en parlent plus, ils sont plus habitués à ces questionnements et cela paraît moins bizarre qu'à l'époque d'en parler".
Une acceptation plus aisée en 2020
Désormais, les personnes trans sont vraiment visibles dans les médias de masse, dans des rôles au cinéma, les grandes marques les engagent notamment comme égéries.
L'ère d'internet "permet une plus grande diversité – sexuelle ou de genre", souligne Adèle Zufferey: "La compréhension de cette thématique et l'acceptation sont beaucoup plus aisées en 2020".
Les mots ont également changé: on parle aujourd'hui de "transidentité" ou d'identité "de genre", alors qu'auparavant le terme employé était "transsexualité".
Pour Lynn Bertholet, "le vocabulaire se pose mieux", les gens commencent en effet à mieux comprendre la différence entre l'orientation sexuelle et l'identité de genre: "Cela permet de mieux comprendre la question de la transidentité et de la séparer en partie de l'orientation sexuelle". Mais elle souligne que "dans le monde professionnel et le monde adulte, la transidentité est encore quelque chose qui est terriblement tabou".
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Lynn Bertholet a beaucoup raconté sa vie de femme trans, passée pendant 55 ans dans la peau de Pierre-André, employé dans une banque privée, ses deux mariages, puis la naissance de celle qu'elle est désormais, Lynn. En 2015, elle est devenue la première femme transgenre à Genève à obtenir de nouveaux papiers d'identité sans avoir subi d'opération chirurgicale: une pionnière.
Son témoignage a probablement servi de modèle pour d'autres personnes qui se posaient les mêmes questions qu'elle: "Beaucoup m'ont parlé à titre personnel de leur souffrance d'adulte – le plus jeune avait 36 ans, le plus âgé 67 ans – de personne pas à l'aise dans le sexe qu'on leur a attribué à la naissance et désireuses de faire ce chemin", avec toutes les peurs que cela comporte.
Discriminations professionnelles
Elle le voit dans les groupes de parole de son association: "La peur, la honte de se sentir différent des autres est toujours présente. Un peu moins chez les jeunes. Mais dès 25 ans et plus, je ressens la même peur que j'ai pu ressentir". Elle ajoute que, "dans les entreprises, cela a peu évolué, hélas".
Le taux de chômage est six fois plus élevé en Suisse pour des personnes trans que pour des personnes cisgenres: "Plus de cinq entreprises sur dix, si on leur demande si elles sont prêtes – à compétences égales – à engager une personne transgenre, répondent non. Et quand on leur demande pourquoi, elles disent que 'c'est un risque'... mais elles ne peuvent pas préciser la nature du risque", relève Lynn Bertholet, "car il n'existe pas".
Une parole plus libre
Adèle Zufferey est confiante en l'avenir: "Les cantons se positionnent, les cours d'éducation sexuelle parlent de diversité sexuelle ou de genre. Les jeunes sont plus biberonnés à cette diversité et donc plus acceptants en règle générale. Il y a une tendance chez les jeunes qui est plus à l'acceptation, à la compréhension de l'autre avec moins de harcèlement".
Elle remarque que la parole s'est libérée: "Les jeunes osent plus facilement en parler: peut-être parce que les familles s'ouvrent. Une proportion non-négligeable de professions s'ouvrent, comme les médecins traitants, les pédiatres, les psychothérapeutes. Ils osent plus facilement mettre des mots sur des ressentis de jeunes ou d'enfants et osent plus facilement en parler aux familles, dédramatiser la thématique".
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L'école romande est désormais mieux outillée aujourd'hui: la Fondation Agnodice a notamment édité en 2018 un "Guide des bonnes pratiques lors d'une transition de genre dans un établissement scolaire et de formation".
"Il y a beaucoup d'ignorance", souligne Lynn Bertholet: "Si on arrive à casser l'ignorance et à expliquer, on peut souvent rencontrer la bienveillance. Mais malheureusement, il y a encore des gens pour qui tout ce qui n'est pas exactement dans la norme est critiquable et donc critiqué".
"Quand on prend le temps de répondre aux questions, ça apaise un peu les consciences", remarque Adèle Zufferey. "On voit qu'il y a moins de harcèlement à partir du moment où on passe dans une école pour en discuter".
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Pour elle, il est important d'intervenir tôt dans les établissements scolaires: "Si ces personnes sont intégrées scolairement et socialement parlant, dès qu'elles arriveront dans une vie adulte, cela sera plus facile, parce que le parcours aura déjà été fait".
>> Regarder
"Tu seras une femme, mon fils"
, un reportage de Temps Présent qui dresse le portrait de Christine Hug, la première haut-gradée transgenre de l'armée suisse:
Sujet radio: Yann Amedro
Adaptation web: Stéphanie Jaquet
Une agression fondée sur l'orientation sexuelle par semaine en 2019
L'an passé, 66 agressions fondées sur l'orientation sexuelle ont été enregistrées en Suisse. Pour la plupart, il s'agissait d'injures et d'insultes mais un tiers des cas concernaient des violences physiques.
C'est ce qui ressort d'un rapport publié dimanche par plusieurs organisations LGBTQ suisses à l'occasion de la journée mondiale contre l'homophobie et la transphobie. Il se base sur les cas signalés à la LGBT+ Helpline, précisent les organisations dans un communiqué.
Sur la base de ces résultats, les organisations demandent un plan d'action national avec des mesures fortes et coordonnées. L'une d'entre elles est la création d'une centrale nationale de signalement des attaques et discriminations à l'encontre de la communauté LGBTQ.
En outre, les autorités de poursuite pénale de même que les écoles devraient être davantage sensibilisées à la question, préconisent les organisations.
ats