Des milliers de personnes qui font la queue pendant des heures pour obtenir un sac de nourriture. Les images tournées ces dernières semaines par la RTS à Genève ont mis en lumière le nombre de personnes en situation de précarité extrême. Ailleurs en Suisse romande, la précarité est tout aussi présente, bien que moins visible, rappellent les organisations de soutien aux plus démunis.
Signe des dégâts sociaux provoqués par la crise du coronavirus, la Centrale Alimentaire Région Lausannoise (CA-RL) - qui récolte les denrées alimentaires, les stocke puis les attribue aux dizaines d'associations membres - a constaté une hausse de 20% de la nourriture distribuée en avril. Cela correspond à 11 tonnes de biens supplémentaires.
Et les besoins sont en hausse constante: à la mi-mai, l'augmentation des volumes distribués atteint 50%, selon Marc Huguenot. "En temps normal, nous aidons 5000 personnes. En ce moment, c'est plutôt 7500 personnes", estime le chef du secteur Aide directe de cette banque alimentaire financée par la Ville de Lausanne et active dans le seul chef-lieu vaudois.
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Affluence dans les épiceries Caritas
L'affluence dans les épiceries Caritas confirme cette tendance. Depuis le début de la crise, les Caritas régionales ont délivré des centaines de nouvelles cartes permettant de faire ses courses dans ces magasins. "Le montant moyen des achats est lui aussi en hausse, ce qui est le signe d'une forte demande de produits de nécessité bon marché", souligne Fabrice Boulé, responsable de la communication pour la Suisse romande.
Parmi les nouveaux bénéficiaires de l'aide alimentaire figurent beaucoup de sans-papiers. "Ce sont les personnes les plus touchées, mais ce ne sont pas les seules", affirme Fabrice Boulé. Et de citer les précaires du marché du travail, salariés payés à l'heure ou travailleurs sur appel, ou encore les indépendants actifs dans le secteur des services à la personne.
37 millions de dons à la Chaîne du Bonheur
Des bons d'achat pour un montant total de 200'000 francs ont déjà été distribués par Caritas. En avril, une aide transitoire allant jusqu'à 1000 francs a par ailleurs été allouée à 4000 personnes, pour un montant de plus d'un demi-million de francs. "Et comme la demande continue d'augmenter, on peut dire qu'au moins 6000 personnes ont été aidées à ce jour", note Fabrice Boulé.
Cela pose la question de l'argent, l'un des nerfs de cette guerre contre la faim. La Chaîne du Bonheur a lancé un appel aux dons en faveur des personnes touchées par la pandémie. A ce jour, elle a récolté plus de 37 millions de francs. Caritas, qui fait partie des bénéficiaires principaux de cette collecte, a déjà reçu deux millions de francs et compte sur la poursuite de ce soutien.
Récoltes de nourriture annulées
La situation est particulièrement difficile pour les Cartons du coeur. L'association, qui livre des colis de biens de première nécessité à des dizaines de milliers de personnes en Suisse romande, a enregistré récemment une hausse des demandes de l'ordre de 8% à 10%. Elle doit pourtant compter avec une chute de 70% des entrées de marchandises gratuites depuis le début de la crise.
"Le problème actuel est que les récoltes, organisées d'habitude devant les magasins d'alimentation, ne peuvent plus se faire, pour des raisons sanitaires", explique Fabien Junod, responsable opérationnel de la Fédération vaudoise des cartons du coeur. Il s'agit donc de compenser cette perte grâce aux stocks, mais aussi via des achats. En un mois et demi, l'association a dépensé 300'000 francs.
"Les stocks sont quasi vides"
A Sion, les Paniers du coeur, un service similaire proposé par les Restos du coeur, connaissent les mêmes soucis. L'association réalise en général une collecte par trimestre, qui permet de récolter deux à trois tonnes de biens. La dernière a eu lieu en novembre 2019 et la suivante a été annulée en raison du coronavirus. "Aujourd'hui, les stocks sont quasi vides et il faut procéder à des achats, ce qui entame nos réserves financières", regrette Jo Pitteloud, membre du comité.
Mais des difficultés se font aussi sentir à l'autre bout de la chaîne, du côté de la distribution. Celle-ci est souvent assurée par des bénévoles retraités, des personnes jugées à risque. Certaines organisations ont par conséquent dû stopper leurs activités le temps de trouver des remplaçants. C'est le cas pour les Cartons du coeur à Neuchâtel, comme l'indique le président cantonal Christian Mamin.
Une médiatisation bienvenue
Toutes les structures, grandes comme petites, ont dû s'adapter à la nouvelle situation. A Lausanne, la Fondation Mère Sofia a grandement augmenté ses capacités, offrant désormais 900 repas chauds par jour contre 250 avant la crise. Mais pour respecter les règles sanitaires, la soupe populaire a dû quitter ses locaux et investir la rue. Désormais, elle propose également ses services directement dans les hébergements d'urgence de la ville, exceptionnellement ouverts 24 heures sur 24.
Pour la plupart des associations contactées, l'épidémie de Covid-19 a fortement aggravé la pauvreté en Suisse, mais elle a surtout rendu visibles les milliers de personnes qui vivaient déjà dans une extrême précarité et qu'on ne voyait pas. A ce titre, toutes les structures ou presque saluent la médiatisation des distributions massives de nourriture à Genève. Des images qui ont, selon elles, mis en évidence l'importance de leur travail au quotidien.
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Didier Kottelat
Des files aussi à Zurich
A Zurich aussi, les plus démunis font la queue pour obtenir des repas chauds et des produits alimentaires. Au début de la crise du coronavirus, l'association "incontro" distribuait 70 colis par semaine. Samedi dernier, c'était 900.
L'association "incontro" a été fondée en 2001 à Zurich par soeur Ariane, une théologienne de 47 ans. Elle a d'abord commencé par s'occuper d'enfants et de jeunes. Depuis deux ans et demi, elle se consacre au travail de rue pour aider des prostituées, des sans-abris, des toxicomanes, des sans-papiers et d'autres personnes dans le besoin.
Chaque soir, "incontro" distribue environ 250 repas chauds dans le quartier de la Langstrasse, non loin de la gare de Zurich. Le samedi, les membres de l'association donnent des colis alimentaires aux plus nécessiteux.
La demande augmente. Des gens attendent jusqu'à une heure dans la rue pour recevoir un colis, même s'il pleut. Lors de la dernière distribution, la file d'attente s'étalait sur plusieurs centaines de mètres. (ats)
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