Dogu Perinçek a qualifié vendredi cette sentence de «raciste et
impérialiste». Après deux longs jours d'audience, le verdict est
tombé en fin de matinée vendredi dans une ambiance tendue. Le juge
Pierre-Henri Winzap ne reconnaît «aucune circonstance atténuante»
au président du Parti des travailleurs turcs.
Un symbole
Le Tribunal de police de Lausanne le condamne à 90 jours-amende
(100 francs par jour) avec sursis pendant deux ans et à une amende
de 3000 francs. Il lui demande de verser 1000 francs «symboliques»
à l'Association Suisse-Arménie (ASA), qui s'était constituée partie
civile et de s'acquitter de 10 000 francs de dépens comme de 5800
francs de frais de justice.
Le leader turc est «un provocateur arrogant», qui connaissait la
loi helvétique sanctionnant les propos négationnistes. Sa venue en
Suisse en 2005 pour déclarer que le génocide arménien est «un
mensonge international» est un acte intentionnel.
Raciste et nationaliste
Dogu Perinçek est «un raciste». Sa démarche «s'apparente à
l'évidence à des motifs racistes et nationalistes», a poursuivi le
juge en soulignant que le génocide arménien est «un fait historique
avéré selon l'opinion publique suisse».
Le fait que cette tragédie ne figure pas dans la liste des
génocides officiellement reconnus par une Cour internationale
n'empêche pas d'affirmer que c'est une réalité indubitable, a
affirmé le juge. La Cour a suivi le réquisitoire du parquet.
Dogu Perinçek a exprimé sa colère directement sur les marches du
tribunal. «Le juge n'était pas neutre. Je n'ai jamais vu un tel
juge. Sa décision est raciste et impérialiste, a-t-il clamé. La
condamnation fait partie du complot mené par les Etats-Unis contre
la Turquie.»
Recours à Strasbourg?
Le nationaliste turc a nié à nouveau le génocide arménien et
s'est promis de «faire changer cette décision». Son avocat a déjà
laissé entendre qu'il est prêt à aller jusqu'à la Cour européenne
des droits de l'homme à Strasbourg s'il échoue devant le Tribunal
cantonal vaudois, puis le Tribunal fédéral.
Pour Dogu Perinçek, ses témoins et son avocat, la Turquie a commis
des massacres et des déportations d'Arméniens à cause de la
Première Guerre mondiale, mais pas de génocide.
Pour l'Association Suisse Arménie, la Turquie a perpétré à
l'évidence le «crime des crimes» qui a causé la mort de 1 à 1,5
million de personnes. Elle l'a préparé et mis les relais en place
entre le pouvoir central et les régions. Le racisme est patent:
désignation du peuple fautif, liste de personnes à exécuter.
Surveillance policière
Le procureur général du canton de Vaud, Eric Cottier, s'est
déclaré «entièrement satisfait». Le Tribunal de police avait été
placé sous haute surveillance policière pour l'occasion. Durant
deux jours d'audience, des thèses fondamentalement opposées se sont
affrontées.
ats/cab/tac
Réactions totalement opposées
Ce verdict est une première non seulement suisse mais mondiale, a indiqué l'Association Suisse-Arménie. Il fera jurisprudence et donnera un signal fort à tous ceux qui voudraient continuer à nier la réalité historique et «souiller» la mémoire des victimes.
C'est «un grand soulagement», a déclaré le co-président de l'ASA Sarkis Shahinian. «Il n'y a pas de place pour la joie parce que personne ne peut se réjouir de ce qui s'est passé en 1915», a-t-il ajouté en saluant «l'indépendance de la justice» face aux pressions politiques suisses et internationales. Il a appelé la Turquie à cesser de dépenser des «milliards» pour soutenir la négation du génocide et essayer d'influencer des «ministres suisses».
Le Conseil fédéral doit reconnaître le génocide et ne pas modifier la norme antiraciste, a demandé le co-président du groupe parlementaire Arménie-Suisse et vice-président des Verts suisses, Ueli Leuenberger.
Le ministère turc des affaires étrangères a dit pour sa part «regretter» le verdict prononcé par la justice suisse. Ankara espère que la procédure en appel permettra de réparer une «injustice». Avant même le procès, Dogu Perinçek avait été traité de «négationniste» en Suisse et avait ainsi déjà été condamné, a indiqué le ministère, selon la chaîne de télévision CNN-Türk.
Rappel des faits
Dogu Perincek répondait d'atteinte à la norme pénale antiraciste, acceptée par le peuple (54,7%) en 1994.
En été 2005, il avait prononcé des discours dans les cantons de Vaud, Zurich et Berne sur la question arménienne et déclaré que le génocide arménien de 1915 était un «massacre».
En Suisse, le Conseil national et le parlement vaudois ont reconnu le génocide arménien, ce qui a provoqué des tensions entre la Suisse et la Turquie.