"On a vu d’un coup ce que donnait l’Europe sans la libre circulation, juge l’ambassadeur français en Suisse, Ça a été une vie épouvantable pendant deux mois, surtout dans les villes frontières comme Geneve, Bâle ou Schaffhouse."
Frédéric Journès considère que l’abandon de la libre circulation telle qu’elle existe entre la Suisse et l’UE ferait de ces villes des culs-de-sac: "Ça donne en tout cas à réfléchir, de se dire tout à coup que ce n’est pas juste un choix identitaire, c’est un choix sur une réalité de vie. Vous prenez une ville comme Genève. Vous êtes dans une ville qui est un carrefour, une ville internationale, ouverte sur le monde. Du jour au lendemain, ça veut dire que vous êtes dans une ville cul-de-sac. Vous vous souvenez peut-être de ce qu’était une ville comme Lübeck, une ville allemande collée contre la frontière de la RDA jusqu’en 1989. C’est une ville qui a végété."
Selon lui, les attentes aux frontières et les blocages, observés surtout au début de la crise du Covid, risquent d’être l’avant-goût des blocages qui auraient lieu: "Ça vous en donne une idée. Parce que de toute façon il faudrait remettre les mêmes douaniers. Nous, du côté français, on aurait autre chose à faire que de recruter des milliers de douaniers, donc, oui, ça voudrait dire qu’il faudrait vivre avec beaucoup moins de points de passage, et effectivement faire la queue pour passer. C’est ce qu’on a évité jusqu’ici. C’est pas la vie qu’on a envie d’avoir. Il y a des choses plus intéressantes que d’attendre pour montrer ses papiers en douane!"
"La crise a redéfini le rapport Suisse - Europe"
Selon Frédéric Journès, l’excellente coopération par temps de Covid et les dizaines de patients transférés dans les hôpitaux suisses ont rapproché la Suisse de l’Europe et en particulier de la France: "Une crise pareille a un effet. Cela redéfinit la relation avec ceux qui vous ont entouré. La Suisse a été généreuse. Elle a été présente. Elle l’a fait sobrement. Mais avec efficacité. Et oui on en est très impressionné. J’ai revu les interventions des précédents présidents de la République. Emmanuel Macron est le premier à avoir dit à 5 reprises que la Suisse a fait quelque chose de tellement bien, et dont on était tellement reconnaissant."
Cette période a selon lui changé la mentalité de part et d’autre: "On a partagé le même destin. La Suisse a voulu être avec ses voisins quand ils lui ont demandé son appui. Cela change vraiment quelque chose."
"Gagner du temps serait un calcul périlleux"
Questionné sur l’impasse actuelle concernant l’accord-cadre entre la Suisse et l’Union européenne, Frédéric Journès espère voir la Suisse fournir maintenant "un papier clarifiant ce qu’elle veut".
L’ambassadeur estime que le temps est venu pour ces clarifications: "la pression ne sera pas toujours éludée." Selon lui, ce serait un faux calcul de vouloir gagner du temps indéfiniment: " Ce serait périlleux de faire ce pari. L’Europe aura besoin de faire autre chose. Tout ce système un peu bancal qu’on a fabriqué ensemble, on l’a fabriqué dans une époque qui est révolue. On a fini le paquet des bilatérales au début des années 2000. C’était une période prospère, l’Europe était une inspiratrice d’idées. On est plus du tout là-dedans. Donc, aujourd’hui, elle a besoin de se stabiliser elle-même et elle ne va pas passer un temps infini à négocier les mêmes choses."
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L’interview de Frédéric Journès sera diffusée dimanche dans l’émission "Pardonnez-moi."