La pénurie de masques a coûté cher. Au plus fort de la crise sanitaire, la Confédération cherchait à s'en procurer par tous les moyens pour approvisionner les hôpitaux, EMS et autres acteurs de la santé qui en manquaient. De nombreuses entreprises et particuliers étaient aussi à la recherche de ce produit devenu rare.
Les données de douanes suisses, publiées fin mai, permettent de mesurer l'ampleur de ces achats et de constater les conséquences de la flambée des prix.
En avril, les importations de masques ont bondi à près de 190 millions de francs.
Masques 5 à 15 fois plus chers
Deux éléments expliquent ce bond. Le premier, c'est évidemment la quantité de masques commandée, en forte hausse. Le second, c'est le prix. Quand la demande mondiale a explosé, les fabricants, chinois dans l'immense majorité, ont revu leurs tarifs à la hausse.
Ces prix ont été multipliés au minimum par 5, voire par 15, d'après plusieurs sources et estimations. Selon nos calculs (lire encadré), si ces masques avaient été achetés avant la crise, ils auraient donc coûté entre 25 et 50 millions de francs. Cela représente entre 140 et 165 millions de moins que la somme dépensée, rien que pour le mois d’avril.
Les prix en baisse
“Au début de la pandémie, les prix ont explosé et se sont avérés très volatiles”, confirme Eric Signer, chef de l'état major de la Taskforce responsable pour la coordination des acquisitions pour la pharmacie de l'armée. Fin mars, les masques d’hygiène achetés par l'armée atteignaient jusqu'à 90 centimes par pièce. Un mois plus tard, ils étaient déjà retombés entre 20 et 40 centimes.
Même constat pour le CHUV et les HUG, dont les achats sont centralisés. Les masques d'hygiène ont été acquis "54 centimes par pièce en avril, avant la crise ils étaient 3,5 centimes", indique Pierre-Yves Müller, directeur de la logistique hospitalière du CHUV. Les masques avec filtre (FFP2) ont eux été achetés à 5,60 francs, contre 1,32 franc en temps normal.
Le marché commence toutefois à se détendre. "Aujourd'hui, un masque d'hygiène coûte 28 centimes et cela devrait continuer de baisser", poursuit Pierre-Yves Müller.
Eric Signer constate la même évolution. "Les prix sont montés très vite mais le marché s'est aussi vite adapté. Les producteurs chinois ont rapidement augmenté leurs capacités de production pour fournir de grandes quantités, c'est un enseignement à prendre en compte", poursuit le Chef d'état-major de la Task Force de coordination des acquisitions Corona.
300 millions de masques commandés par l'armée
Pour l'heure, la pharmacie de l'armée ne passe plus de nouvelles commandes. Elle attend que les prix baissent à nouveau. "Nous avons les stocks suffisants pour soutenir les organisations de la santé publique pour 40 jours, s'ils n'ont plus assez de matériel en stock. Cela ne vaut pas la peine de dépenser plus en ce moment", assure Eric Signer. Depuis le début de la crise, l'armée a commandé 313 millions de masques, dont 126 millions sont déjà arrivés en Suisse.
Stratégie identique pour le CHUV et les HUG, qui ont acquis 30 millions de masques pour 24 millions de francs depuis le début de la crise. Aurait-il fallu mieux anticiper pour éviter d'acheter des masques à prix d'or? Pour Pierre-Yves Müller, il n'aurait pas été raisonnable pour les hôpitaux de prévoir des stocks beaucoup plus importants avant la crise: "Il faudrait des halles industrielles gigantesques pour stocker 30 à 60 millions de masques et cela aurait coûté très cher. Une pandémie avec une ampleur aussi exceptionnelle ne s'est jamais produite. Elle a congestionné tout le réseau mondial en même temps, ce qui a créé des difficultés."
"Il y a toujours eu suffisamment de masques pour nos patients et notre personnel", souligne Pierre-Yves Müller. Les stocks ont toutefois été revus à la hausse. Au lieu de 3 à 4 mois en consommation moyenne, ceux-ci doivent dorénavant permettre de tenir 6 mois en consommation actuelle ou 2 mois en cas de pics.
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Valentin Tombez
Méthodologie
Pour estimer le coût lié à la flambée des prix des masques en Chine, nous nous sommes basés sur les importations de la catégorie “6307.9099” dans les données des douanes. Celle-ci regroupe les différents types de masques de protection (chirurgicaux, FFP2, FFP3) mais également quelques autres produits en textile comme les drapeaux et les housses pour vêtements et voitures.
D'après nos informations, l'évolution de cette catégorie (passée de 12 millions en moyenne en 2019 à 189 millions en avril 2020) est uniquement due à l'achat de masques. Par ailleurs, les prix ont augmenté d'un facteur 5 à 15 à cette période, toujours selon nos informations. Les masques FFP2, plus chers à l'unité, seraient proches d'un facteur 5, alors que les masques d'hygiènes et chirurgicaux, les plus recherchés, d'un facteur 10 à 15.
Enfin, pour éviter que les chiffres ne soient influencés par les autres produits qui se trouvent dans la catégorie, nous nous sommes uniquement focalisés sur la différence entre la valeur des importations en avril 2020 et la moyenne en 2019, que nous avons divisée par les facteurs d’augmentation des prix. Cela donne une estimation du surcoût lié à la flambée des prix entre 141 et 164 millions. Le reste a été considéré comme stable.