Avant même son lancement officiel, l'application SwissCovid a déjà beaucoup fait parler d'elle. Pour certains, il s'agit d'une solution intéressante et moderne pour compléter l'arsenal de lutte contre le coronavirus et éviter une deuxième vague. Pour d'autres, en revanche, il s'agit d'un outil aussi inutile que liberticide.
Approuver SwissCovid, mais aussi l'installer?
Au Parlement, l'article de loi accompagnant le lancement de SwissCovid devrait passer la rampe sans problème. Mercredi, le Conseil des Etats a déjà donné son aval par 43 voix contre 1. L'adoption du texte au Conseil national, prévue lundi, devrait aussi être une formalité. Les députés pourraient néanmoins ajouter des conditions.
Les élus fédéraux vont-ils faire un pas supplémentaire et installer l'application sur leur smartphone? Nous avons posé la question aux 246 parlementaires. Plus de la moitié d'entre eux ont répondu. Deux tiers des répondants comptent utiliser SwissCovid. A l'inverse, un quart n'envisage pas de la télécharger. Onze députés n'ont pas d'avis tranché sur la question ou considèrent qu'il s'agit d'une décision privée.
Les élus romands moins convaincus
La résistance semble plus forte au sein de la représentation romande que chez les Suisses alémaniques. Un élu romand sur deux ayant répondu affirme vouloir télécharger l'application de traçage de proximité, contre 75% des élus d'outre-Sarine. A l'inverse, c'est "non" ou "plutôt non" pour 36% des parlementaires de Suisse romande, contre moins de 20% des élus alémaniques.
Dans tous les partis, une majorité des répondants comptent installer l'application. Les plus enthousiastes sont les Vert’libéraux (82% de "oui" ou "plutôt oui"), les PLR (80%) et les socialistes (75%). Les voix critiques se font surtout entendre du côté de l'UDC (43% de non ou plutôt non), mais tous les groupes, sauf le PS, comptent une part non négligeable d'élus perplexes.
Craintes sur la protection des données
Les parlementaires qui n'ont pas l'intention de télécharger SwissCovid se montrent parfois sceptiques quant à l'utilité de cette application, notamment au regard de la situation sanitaire actuelle. La plupart d'entre eux avancent par ailleurs l'argument de la protection de la vie privée, à l'instar de la conseillère nationale vaudoise Isabelle Chevalley.
Pour moi, cette application, c'est le début de la fin de nos libertés
"La liberté, elle ne se perd pas du jour au lendemain, elle se perd petit à petit. Et pour moi, cette application, c'est le début de la fin de nos libertés", affirme Isabelle Chevalley. La vice-présidente du Parti vert'libéral met en garde contre une dérive vers un système de surveillance de masse. L'UDC valaisan Jean-Luc Addor abonde dans son sens: "SwissCovid, c'est un pas (de plus) vers une société "chinoise" du contrôle total."
Les défenseurs de l'application prennent ces craintes au sérieux. Ils estiment cependant que la solution choisie par la Suisse - anonyme, décentralisée, basée sur la technologie bluetooth - ainsi que les garde-fous posés par le législateur - en particulier l'utilisation facultative de l'application et l'interdiction de discriminer ceux qui refusent de l'installer -, préservent la vie privée des citoyens.
C'est une application plus suisse que d'autres sur lesquelles, tous les jours, nous donnons plein de renseignements sur notre vie.
Laurent Wehrli figure parmi les quatre parlementaires romands qui confient avoir déjà téléchargé l'application. Le libéral-radical vaudois tient aussi à relativiser l'argument du camp adverse: "C'est une application qui est plus suisse que d'autres applications sur lesquelles, tous les jours, nous donnons - moi peut-être le premier - plein de renseignements sur notre vie."
Pas une solution miracle
Reste que, même pour ses plus fidèles défenseurs, SwissCovid n'est pas une solution miracle face au coronavirus. "Ce n'est pas parce qu'il y a cette application qu'il n'y aura plus de cas de Covid-19 en Suisse. Par contre, c'est un élément qui vient en complément des autres mesures" comme le lavage des mains, la distanciation physique et le port du masque, rappelle Laurent Wehrli.
L'écologiste Fabien Fivaz fait partie des 11 parlementaires qui ont répondu ni oui ni non. Son choix dépendra de la situation sanitaire. "Si le nombre de cas continue de baisser en Suisse, si la deuxième vague ne se matérialise pas, je ne vois pas bien l'intérêt. Si par contre la situation se dégrade, alors j'installerai l'application", explique le conseiller national neuchâtelois.
Pour d'autres, la décision d'utiliser ou non SwissCovid relève de la sphère privée la plus stricte et n'a par conséquent pas vocation à être médiatisée. "Cette application est un choix personnel, intime. Personne ne doit être obligé ou poussé à l'installer. Cela vaut aussi pour les parlementaires", glisse ainsi un élu socialiste.
Des élus assez représentatifs de la population
Vu le taux de retour et la large représentation de l'ensemble de l'échiquier politique dans les réponses, on peut considérer que le sondage donne une image relativement fidèle des intentions des 246 parlementaires. Et à ce titre, le Parlement semble d'ailleurs assez représentatif de l'ensemble de la population suisse.
Début mai, dans une enquête réalisée par l'institut Sotomo pour le compte de la SSR, 60% des sondés se déclaraient en effet favorables (36%) ou plutôt favorables (24%) à l'installation de manière volontaire d’une application de traçage des contacts, à la condition que la protection des données soit garantie. Quatre Suisses sur dix y étaient opposés.
Le soutien à cet outil s'était quelque peu érodé par rapport à l'étude précédente réalisée un mois plus tôt. En revanche, contrairement à ce qu'on constate au Parlement, le sondage ne mettait en lumière aucune différence significative entre la Suisse romande et la Suisse alémanique sur cette question. (Une nouvelle vague de cette enquête d'opinion sera publiée vendredi 12 juin, ndlr)
Déjà 60'000 téléchargements
En phase de test depuis deux semaines, SwissCovid est censée avertir rapidement un utilisateur s'il a été en contact avec une personne testée positive au Covid-19. Même si elle est déjà disponible sur Apple Store et Google Play, l'application devrait être lancée officiellement entre la mi-juin et la fin du mois, une fois la base légale adoptée par le Parlement et les éventuels bugs réglés.
Plus de 60'000 personnes l'ont déjà téléchargée, indique le porte-parole de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, qui a développé SwissCovid en partenariat avec son homologue de Zurich. "Ca représente pour l'instant 1% de la population", indique Emmanuel Barraud, qui dit espérer une bonne adhésion des Suissesses et des Suisses au projet.
Quel pourcentage de la population devrait installer SwissCovid pour que celle-ci soit réellement efficace pour prévenir une deuxième vague d'épidémie? "Il n'y a vraiment pas de proportion minimale. L'application sera efficace quel que soit le nombre de personnes qui l’installent. Mais évidemment, plus il y en aura et plus efficace elle pourra être", conclut Emmanuel Barraud.
Didier Kottelat, avec Hannah Schlaepfer et Valérie Gillioz