Un regard lourd de souvenirs... C'est derrière la fenêtre d'une chambre en mansarde, à Zurich, que Catia Porri est restée cachée six mois par an, trois années de suite: "Je n'avais pas le droit de bouger, parce que le sol était en bois. Chaque fois qu'on faisait un pas, ça grinçait. Donc je marchais le moins possible, je passais mon temps à dessiner et à lire".
La jeune Catia a douze ans en 1962 lorsque ses parents – tous deux saisonniers italiens – la font entrer pour la première fois illégalement en Suisse. La fillette passe la frontière cachée dans le coffre de la voiture. Elle est ce qu'on appellera plus tard une "enfant du placard": "Mes parents avaient tellement peur, que cette peur a fini par me contaminer. Pour moi, le message était clair: tu n'existes pas. Point".
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La xénophobie atteint un paroxysme
Face à l'arrivée massive de travailleurs étrangers au cours des années 1960, la xénophobie atteint un paroxysme. C'est l'époque de l'initiative Schwarzenbach. La Suisse est confrontée pour la première fois à la question du regroupement familial.
Le Conseil fédéral y réagit de façon stricte, constate cette historienne qui a lancé un premier projet de recherche sur les enfants cachés: "C'est au moment où on veut réduire à tout prix la présence des étrangers", explique Kristina Schulz, professeure d'Histoire à l'Université de Neuchâtel: "Et la manière de le faire, c'est de réfléchir sur le regroupement familial et d'éviter que ces étrangers viennent avec toute leur famille".
La psychologue bernoise Marina Frigerio a longtemps suivi des familles de saisonniers.
Elle a raconté leurs parcours de vie dans plusieurs livres: "Dans les années 1980, beaucoup d'enfants de migrants italiens sont tombés dans la drogue. Je sais qu'un grand nombre d'entre eux étaient des enfants de saisonniers qui avaient rejoint tardivement leurs parents ou qui avaient été cachés".
Catia Porri a fini par réussir à s'intégrer en Suisse même si, une fois à l'école, elle a continué à subir des discriminations: "Un jour, après une dictée, le professeur a pris ma copie – comme ça – pour montrer aux autres élèves que je ne savais même pas écrire".
Comme la dizaine de milliers d'enfants de saisonniers cachés en Suisse, Catia Porri est longtemps restée seule avec ses blessures. Elle attend toujours que la Suisse fasse la lumière sur cette page de son Histoire.
Sujet télévisé: Jean-Marc Heuberger
Adaptation web: Stéphanie Jaquet