Après le Conseil des Etats en mars, la Chambre du peuple a accepté mardi par 127 voix contre 54 et 13 abstentions le premier volet d'un arsenal juridique destiné à lutter contre le terrorisme. La gauche s'est opposée à ce projet, qu'elle juge liberticide. Pour le camp rose-vert, les mesures adoptées par le National portent atteinte aux principes de l'Etat de droit et affaiblit la protection des droits fondamentaux.
Le projet vise à permettre la ratification de la Convention du Conseil de l'Europe pour la prévention du terrorisme et de son Protocole additionnel. Cet objectif n'est pas foncièrement contesté par la gauche ni par les organisations de défense des droits humains. En revanche, sa mise en oeuvre l'est davantage, la Suisse prévoyant d'aller plus loin que ce qui est exigé par le traité.
Liberté ou sécurité?
"Utiliser des moyens abusifs, priver un individu de ses droits fondamentaux, lui appliquer des mesures de contrainte sans preuve, sur la base d'impressions ou de simples allégations peu fondées, n'est pas acceptable", a ainsi plaidé Pierre-Alain Fridez (PS/JU). "On cède une partie de notre liberté pour gagner un peu de sentiment de sécurité. On donne beaucoup pour avoir un peu moins peur", a renchéri Léonore Porchet (Verts/VD).
Ces craintes n'ont pas convaincu la majorité. "Ca fait longtemps que la population attend davantage d'efficacité dans la lutte contre le terrorisme", a expliqué Jacqueline De Quattro au nom de la commission. "Si avec ce projet, nous réussissons à empêcher ne serait-ce qu'un seul attentat, si nous réussissons à épargner ne serait-ce qu'une seule victime, nous n'aurons pas travaillé pour rien", a estimé Jean-Luc Addor (UDC/VS). Le projet retourne au Conseil des Etats.
Un second paquet de mesures très controversé
Mais c'est jeudi que le National se penchera sur les mesures les plus controversées, via la modification de la loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme. Dans ce deuxième volet, le Conseil fédéral, déjà soutenu par la Chambre haute, souhaite introduire une série de mesures visant à empêcher les terroristes en herbe de passer à l'acte.
Pour le journaliste alémanique Kurt Pelda, spécialiste de la question, un renforcement de l'arsenal policier est nécessaire, la Suisse n'étant selon lui pas bien armée contre le terrorisme. "Les peines auxquelles sont condamnés les terroristes en Suisse - souvent des peines avec sursis - sont trop faibles. Si on mettait ces gens plus longtemps en prison, ils ne pourraient pas commettre de nouveaux actes", estime-t-il.
Le projet prévoit notamment la possibilité de prononcer, sur la base d'"indices concrets et actuels", des interdictions de périmètre ou de contact ou de procéder à la surveillance électronique d'un "terroriste potentiel" dès l'âge de 12 ans. L'assignation à résidence serait également possible, même pour les mineurs dès l'âge de 15 ans. Selon Fedpol, quelque 30 personnes radicalisées pourraient être soumises à de telles mesures administratives.
Le Conseil de l'Europe et l'ONU très critiques
Ces mesures, qui pour la plupart pourront être prises sans l'intervention d'un juge, font réagir au-delà des frontières. Dans une lettre adressée il y a quelques jours aux membres de la commission de la politique de sécurité du Parlement, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l'Europe souligne "la gravité des mesures envisagées" et invite les parlementaires à "revoir le projet".
"L'absence de définition claire et précise (d'un 'terroriste potentiel') ouvre la voie à une interprétation large faisant courir le risque d’ingérences excessives et arbitraires dans les droits de l’homme", relève Dunja Mijatovic. Elle juge en outre "problématique" la notion même de 'terroriste potentiel' qui "risque de stigmatiser une personne alors qu'elle pourrait n'avoir jamais été soupçonnée d'avoir enfreint la loi, ni reconnue coupable d'infraction".
Dans une lettre adressée fin mai au Conseil fédéral, le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a également critiqué le projet du gouvernement et l'a mis en garde contre ce texte, qui ouvrirait la porte à une privation arbitraire de liberté.
>> Lire : Pour l'ONU, la future loi antiterroriste suisse attente aux droits de l'homme
Entre les élus qui privilégient la réponse sécuritaire face au terrorisme et ceux qui mettent en avant le respect des droits de l'homme, le débat promet d'être animé jeudi au Conseil national.
Jean-Marc Heuberger, Thierry Clémence et Didier Kottelat