Cet équivalent du mouvement #MeToo, dont Le Monde s'est fait l'écho il y a quelques jours, concerne un tout petit milieu. Le sujet est donc sensible et les langues se sont déliées avec réticence.
Il faut dire que les femmes sont discriminées à plusieurs niveaux, à commencer par le milieu académique. "Il y a 90% d'étudiantes, car beaucoup de jeunes femmes sont très intéressées par l'archéologie. Mais, au niveau suisse, les professeurs sont en très grande majorité masculins", constate mardi dans le 12h30 Marie Besse, professeure d'archéologie préhistorique à l'Université de Genève.
Par exemple, une archéologue fraîchement nommée à un poste à responsabilités s'est entendu dire: "Qu'est-ce que tu as fait pour avoir ce poste? Bon, tu as bénéficié de la promotion des femmes."
Un sexisme sur le terrain
Les élèves partent l'été sur des "chantiers-école". "Ils doivent apprendre à tenir une truelle, à reconnaître les couches, les objets, les tessons de céramique, les structures. On mange ensemble, on travaille ensemble toute la journée. C'est vrai qu'il y a une proximité, d'autant plus que souvent on est dans des endroits isolés. Il n'y a pas d'autre activité que de se retrouver le soir ensemble", décrit Marie Besse.
Cet entre-soi peut favoriser le harcèlement. Une archéologue raconte d'ailleurs: "C'est gênant quand les responsables se mêlent à la fête, avec l'alcool, il n'y a parfois plus de limites et certains profs sont très... tactiles. C'est dur de dire non, surtout quand on a 18 ans."
Les interlocutrices contactées par la RTS sont unanimes: une femme cheffe de chantier, ça change le comportement de tout le groupe.
Un manque d'infrastructure
Les chantiers de fouilles professionnels ont aussi leur lot de problèmes, notamment la répartition genrée des tâches: travaux "physiques" pour les hommes et méticuleux pour les femmes, comme trier des petites pièces de céramiques.
On oublie le matin et on met un t-shirt un peu échancré sous un pull. On se pose la question: est-ce qu’on crève de chaud toute l’après-midi ou est-ce que qu’on enlève le sweat et on risque des remarques, des regards?
Dans ce monde très masculin, il est difficile de se faire entendre. Il faut s'imposer, répéter les directives et il n'est pas rare d'entendre des "mademoiselle" quand le collègue masculin est appelé "chef".
Autre souci: le manque d'infrastructure. "En général, on n’a pas de WC, pas d’eau, pas de savon. Pour les hommes, ça ne leur pose aucun problème, ils vont dans la forêt et ils trouvent ça super. Nous, déjà, aller dans la forêt c’est un petit peu moins agréable, et puis surtout, ces fameuses règles, ce n’est pas compatible avec le côté femme des bois. Par exemple, lors d'un chantier de plusieurs mois, toutes les collaboratrices ont été malades au niveau intime, en raison du manque d’hygiène et d’infrastructure, et ça malgré l’avoir signalé à répétition au fil des mois", déplore une archéologue.
Les vêtements en question
Une autre explique qu'il faut aussi penser aux vêtements. On lui a déjà lancé des cailloux dans le décolleté. "On oublie le matin et on met un t-shirt un peu échancré sous un pull. On se pose la question: est-ce qu’on crève de chaud toute l’après-midi ou est-ce que qu’on enlève le sweat et on risque des remarques, des regards? Il y a toute cette réflexion qu’on ne devrait pas avoir. Prendre des remarques, arrondir les angles, faire attention à ce qu’on dit, à ce qu’on porte, faire en sorte que le travail soit fait, qu’on ait une réflexion aussi parce qu’on fait quand même un métier qui nécessite beaucoup de recherches: c’est une énergie folle."
Des remarques usantes sur le physique, la manière de s'habiller, de se maquiller, qui représentent une charge mentale au quotidien.
Le problème du racisme
"Comme toutes mes autres collègues, j’ai le droit, de façon récurrente, aux remarques sur mon humeur, sur le fait que je ne souris pas. Et c’est systématiquement mis en rapport avec les règles. On arrive le matin, un peu grincheuse – pour des raisons personnelles, donc on n’a pas forcément envie d’en parler – et c’est tout de suite: 'Ah, t’as tes règles aujourd’hui? Ha! Ha!' ou alors le fameux "on ne peut rire de rien, on ne peut rien dire avec toi". C’est usant, et ça n’a pas sa place au final si on veut avoir des relations saines de travail."
J'étais dans une tranchée, toute seule, en train de peller, piocher, pour pouvoir rendre la stratigraphie lisible, et un des responsables, en haut, me regarde et interpelle son collègue contremaître: 'Eh Manuel, t’as une manœuvre? Ha, ha ha!'
Certaines femmes subissent plusieurs discriminations, comme le racisme pour cette archéologue, dont certains travaux ont été qualifié "d'exotiques": "Un prof m’a demandé si j’étais adoptée, parce que j’étais noire. Comme j’étais un peu la seule et qu’il voyait que j’avais du potentiel et de la culture, c'est forcément que je devais être adoptée."
Plus tard, dans le monde professionnel, quand elle était fouilleuse, la situation ne s'est pas améliorée. "J'étais dans une tranchée, toute seule, en train de peller, piocher, pour pouvoir rendre la stratigraphie lisible, et un des responsables, en haut, me regarde et interpelle son collègue contremaître: 'Eh Manuel, t’as une manœuvre! Ha, ha ha!' En me réduisant en tant que manœuvre, c’est aussi ma couleur qu’il ciblait. Il s’est vraiment permis de faire une blague devant moi et devant les autres pour me rabaisser."
Grâce au mouvement Paye ta truelle, les choses changent un peu. Il y une prise de conscience, de la nouvelle génération, et plus de femmes osent parler, lutter, et trouvent aussi des alliés auprès de collègues masculins. Mais il reste un long chemin à parcourir.
Pauline Rappaz/vkiss
Une exposition sur l'archéosexisme est actuellement en tournée. Plus d'infos sur ce site.