Décaler les horaires de bureau pour des transports moins bondés, l’idée n'est pas nouvelle. Mais la crise a accéléré le processus, y compris en Suisse.
A partir de lundi, le cigarettier Japan Tobacco International (JTI), basé à Genève, instaure un roulement des effectifs: des groupes d’employés qui viennent au bureau une semaine sur deux, en gardant une souplesse dans les jours et les heures de présence.
Pour éviter les heures de pointe pendant la crise sanitaire, les employés de la banque Société Générale peuvent quant à eux arriver jusqu'à 10h00 le matin.
Souplesse dans l'administration
Plus de souplesse également au sein des administrations romandes, notamment dans le canton de Fribourg.
"La pandémie nous a poussé à flexibiliser et encourager les nouvelles formes de travail. Avant, on devait être obligatoirement sur le lieu de travail entre 8h30 et 11h00 et entre 14h00 et 16h30. Avec la suppression de ces heures bloquées, les employés de l'Etat sont libres de venir et partir comme ils veulent. Mais le temps doit être timbré et les 8h20 de temps de travail doivent être effectuées. Cela dépend toujours aussi des besoins de service, s'il y a des séances ou d'autres obligations", explique Gabrielle Merz Turkmani, cheffe du Service du personnel.
"Mal vu d'arriver après 9h00"
Moins d’heures fixes, télétravail facilité: des mesures qui pourraient perdurer après la crise. Mais les employés ne profitent pas toujours de la souplesse, selon le géographe Julien Lovey, responsable de l'antenne neuchâteloise du bureau d'ingénieurs Citec.
"En Suisse, on a déjà quand même passablement d'entreprises, quelques administrations aussi, qui pratiquent les horaires libres. Et finalement, les collaborateurs de ces entreprises n'ont pas des horaires fondamentalement différents de ceux qui ne le pratiquent pas. Cela peut être le poids des habitudes mais ça peut aussi être les autres contraintes: notamment celles des horaires des écoles, pour les parents qui amènent leurs enfants à la crèche ou à l'école. Et puis c'est peut-être mal vu encore chez nous, en Suisse, d'arriver au bureau après 9h00", indique-t-il.
Plus de flexibilité à l'école?
Pour les travailleurs qui sont aussi parents, il faudrait donc aussi plus de flexibilité à l'école? Certains cantons y réfléchissent, mais surtout pour lisser les heures de pointe. Ces dernières années, des transports publics jurassiens, valaisans ou bernois se sont coordonnées avec les écoles, pour décaler l'heure de classe.
A Genève, dès la rentrée, les élèves du cycle, âgés de 12 à 15 ans, vont commencer les cours à 8h30 ou 8h45, au lieu de 8h00, pour limiter les usagers dans les transports publics en ces temps de crise.
Dans ce cas précis, selon Julien Lovey, c'est une fausse bonne idée: "Le décalage me semble insuffisant pour vraiment sortir de la période de pointe du matin, qui s'étale grosso modo de 7h00 à 9h00. On peut même imaginer que cela ait un impact négatif sur l'heure de pointe du soir: la fin des cours sera elle aussi décalée, et cela fait coïncider encore plus les trajets de retour des élèves avec la période de pointe traditionnelle du soir, entre 17h30 et 18h30."
Le géographe donne un exemple plus efficace: celui de l'Université de Lausanne et de l'EPFL. "Ils ont découpé en trois secteurs géographiques le campus et ont décalé chaque fois d'un quart d'heure l'horaire de début des cours sur ces trois secteurs. Cela permet de désengorger le métro M1, qui arrivait complètement à limite de saturation le matin. Donc, quand on décale sur un site donné les horaires de travail des salariés ou des étudiants, cela a vraiment des effets intéressants, parce que vous évitez de charger de manière exagérée un à deux convois, et puis vous répartissez la demande sur cinq, six ou sept convois plutôt que deux."
Pauline Rappaz/gma
Repenser la ville
Une autre mesure pour désengorger les transports consiste simplement à moins les utiliser. Pour Ariane Widmer, directrice de la planification cantonale à Genève, il faut d’abord penser à la manière dont on fabrique la ville.
"Est-ce que les services sont tous concentrés à un seul endroit, ce qui oblige tout le monde à se déplacer loin, ou est-ce qu'on arrive à les répartir dans le territoire de telle sorte à créer des proximités qui ne nécessitent peut-être même plus de transports publics pour y arriver?", s'interroge-t-elle.
"Je crois que si on arrive à offrir ces premiers cercles autour du logement, dans le quartier ou dans la ville proche, on offre réellement une alternative, évidemment au tout-voiture, mais aussi à ce que tout le monde se mette dans les transports publics", indique Ariane Widmer.