Avec près de 25% de travailleurs provenant de l'Union européenne et de l'Association européenne de libre-échange (AELE), la Suisse occupait en 2019 la deuxième place du podium en Europe, derrière le Luxembourg.
En chiffres absolus, cela représente environ 1,3 million de personnes, dont 320'000 frontaliers, selon les chiffres officiels.
Laure Sandoz, spécialiste de la migration et post-doctorante à l'Université de Neuchâtel, dresse le portrait de ces ressortissants: "En se basant sur le cas le plus fréquent au niveau statistique, on peut dire que c'est quelqu'un qui provient d'un pays voisin, de relativement jeune et de bien formé. Ce sont plus souvent des hommes que des femmes. Ce sont des gens qui ont déjà un travail et qui ont été recrutés depuis la Suisse."
"La personne type serait un ingénieur français de moins de 40 ans", précise de son côté Boris Zürcher, chef de la direction du travail au Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco).
En effet, près de 60% des ressortissants de l'UE/AELE en Suisse occupent des postes dans des professions dites intellectuelles, scientifiques ou avec un haut degré de qualification, selon le rapport 2020 de l'Observatoire sur la libre circulation des personnes. On les retrouve principalement dans les secteurs de la pharma, de la finance ou des nouvelles technologies. Ils sont 10% à occuper des postes de direction.
Le travail, principale motivation
C'est principalement l'emploi qui attire les Européens: en 2019, près de 90% des hommes et 80% des femmes de 15 à 64 ans qui ont immigré en Suisse après 2002 sous le régime de l'accord bilatéral sur la libre circulation des personnes (ALCP) exerçaient une activité lucrative, selon le rapport.
"La participation au marché du travail est extrêmement élevée parmi les ressortissants de l’Union européenne. Ils travaillent davantage que la population indigène", note Boris Zürcher. Selon lui, cette main-d'oeuvre ne représente toutefois pas une concurrence pour les travailleurs helvétiques. "Ce sont plutôt des qualifications complémentaires. Souvent, les entreprises cherchent des personnes spécialistes dans un domaine particulier et ne les trouvent pas en Suisse. Elles les recrutent donc à l’étranger."
Le responsable au Seco note également une plus grande flexibilité chez les ressortissants européens qui travaillent davantage le soir et la nuit et plus souvent à plein temps, notamment les femmes. Leur durée hebdomadaire de travail (33,7 heures) est en moyenne 15% supérieure à celles des femmes nées en Suisse.
Laure Sandoz parle, elle, de "position sandwich" de la population indigène sur le marché du travail: "Les Suisses sont surreprésentés dans les professions avec des salaires moyens. Alors qu'il y a une surreprésentation des étrangers aussi bien dans les professions très mal payées, avec des conditions assez difficiles, que dans les professions très bien payées."
Regroupement familial
Après l'emploi, la famille représente la deuxième raison d'émigration en Suisse: "Cela concerne environ un tiers des cas. Ce sont des personnes qui, même si elles viennent rejoindre un membre de leur famille, travaillent aussi", rapporte Laure Sandoz.
En 2019, 185'184 ressortissants de l’UE/AELE ont rejoint la Suisse dans le cadre d’un regroupement familial. Parmi les étrangers admis à ce titre (originaires de l’UE, de l’AELE ou d’États tiers), 43% étaient arrivés sur territoire helvétique en tant que partenaires d’une personne de nationalité étrangère et 20% en tant que partenaires d’un Suisse. Pour le reste (37%), il s’agit d’enfants venus rejoindre leurs parents, selon le rapport de l'Observatoire sur la libre circulation des personnes.
Ouverture aux pays de l'Est
On observe par ailleurs un changement dans les flux migratoires entre l'UE/AELE et la Suisse depuis l'entrée en vigueur de l'ALCP en 2002: "Au début, il y avait beaucoup de requérants français et allemands. Peu à peu, le phénomène s'est déplacé au sud de l'Europe", explique Laure Sandoz. Les différents mouvements s'expliquent par la conjoncture. "Le taux de chômage en France et en Allemagne s'est affaibli alors que celui dans les pays du Sud a augmenté", rapporte l'experte.
Aujourd'hui, la tendance semble se déplacer vers l'Europe de l'Est, notamment la Pologne, la Slovaquie, la Roumanie ou la Bulgarie, qui ont connu une levée de restrictions à la libre circulation en devenant membre de l'UE.
Séjours de 5 ans
La libre circulation se caractérise par des séjours relativement courts, soit une moyenne de 5 ans. "C’est la différence avec l’ancien statut de saisonnier", indique Boris Zürcher.
Le responsable au Seco poursuit: "Lorsque ces personnes recevaient leur permis de séjour en Suisse, elles le gardaient. Elles restaient même si elles perdaient leur travail, ce qui contribuait à accroître le chômage. Tandis qu’aujourd’hui, les personnes sont mobiles. Quand elles trouvent un emploi qui leur convient mieux ailleurs ou quand elles en trouvent un dans un pays plus proche de leur lieu d’origine, elles quittent la Suisse."
Mathieu Henderson et Marie Giovanola