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Pourquoi marcher en montagne pendant plusieurs semaines?

Via Alpina - L'envers du chemin
Le film "VIA ALPINA - L'Envers du Chemin" est à voir ci-dessus jusqu'au 13 août 2020.
Grâce à ses 5000 km de pistes, la Via Alpina permet de traverser à pied les huit pays de l'arc alpin, mais surtout... d'apprendre à prendre le temps. C'est le constat que dresse Matthieu Chambaud, au terme d'un périple de 137 jours et d'une dizaine d'interviews, dans son film "Via Alpina" à voir ici même.

Alors qu'il se prédestinait à l'architecture, Matthieu Chambaud est happé par le pouvoir de la montagne lors d'un voyage dans la Cordillère des Andes. Il entreprend alors une traversée de 54 jours dans les Pyrénées, qui l'enchante tant qu'il décide de devenir accompagnateur en montagne. Fasciné, voire obsédé par l'introspection que suscitent les crêtes, il se lance dans un périple encore plus long, caméra au poing.

Durant presque cinq mois, il sillonne la mythique Via Alpina, depuis Trieste jusqu'à Monaco. Il grimpe les cols, contemple des paysages grandioses, observe des familles de bouquetins, et surtout interroge ceux qu'il croise. Les randonneurs viennent de différents pays, mais tous sont unanimes: lorsqu'on est dépouillé de tout, on peut enfin prendre son temps et se reconnecter à soi-même.

A coups de confessions plurilingues, le film "VIA ALPINA - L'Envers du Chemin", actuellement diffusé par Les Documentaires de la RTS et à voir ci-dessus, constitue ainsi une véritable invitation à pratiquer la "slow rando", et plus largement à freiner l'effervescence dans laquelle s'est plongée l'humanité au fil des siècles.

Ne rien faire. Juste être là. Regarder autour de soi.

Matthieu Chambaud

Se connecter avec la nature

De prime abord, la randonnée, "c'est douloureux et c'est ennuyeux", confie Leonie Bremm, une Allemande qui a décidé de comprendre les motivations de ses proches "accros à la montagne". Mais après une première journée de marche dans la Via Alpina, Leonie Bremm finit par admettre que, bien qu'elle ait "mal partout", la randonnée est bien plus qu'une simple activité physique. Le contact avec la nature finit par la happer, comme pour tant d'autres.

Matthieu Chambaud et sa tente. [Association Via Alpina - L'envers du chemin - Briner, Caroline (RTS)]
Matthieu Chambaud et sa tente. [Association Via Alpina - L'envers du chemin - Briner, Caroline (RTS)]

D'autant que lorsque la randonnée s'étale sur plusieurs jours, voire plusieurs mois, la tente fait partie intégrante de l'équipement, favorisant la connexion à la Terre. Installer un bivouac, c'est "un peu une deuxième journée qui commence. Mais l'effort est récompensé: on est encore plus connecté avec la nature", se réjouit Matthieu Chambaud.

"Être tout seul là-haut, avec les étoiles, et dans toutes les conditions... C’est vraiment quelque chose de fascinant", confie également le randonneur Gerd Juntermanns.

Renouer avec le lâcher-prise

Cette connexion avec la nature semble par ailleurs faciliter le lâcher-prise. Elvira Jane Alarçon avait ainsi bien préparé son itinérance, en définissant ses lieux de couchage. Toutefois, elle comprend très vite que les conditions de montagne ne lui permettent pas toujours d'avancer à la vitesse et dans la direction souhaitées.

Crêtes de montagnes sur la Via Alpina. [Association Via Alpina - L'envers du chemin - Briner, Caroline (RTS)]
Crêtes de montagnes sur la Via Alpina. [Association Via Alpina - L'envers du chemin - Briner, Caroline (RTS)]

"Au début, tu es très en colère contre la montagne. Après, tu vois le côté agréable de la chose", relativise-t-elle. Selon elle, le mauvais temps, les maux de pieds, les blessures ou les chemins impraticables poussent à la flexibilité: "S’il n’y a rien à manger, tu ne manges pas. Si c'est impossible d’aller à un sommet, tu redescends dans la vallée et tu remontes par une autre." A long terme, la randonneuse finit même par prendre ses décisions en dialoguant avec la nature. "Pourquoi suivre la carte?", interroge-t-elle.

Un sentiment que partage le réalisateur: la montagne pousse à laisser de la place à l'imprévu. Matthieu Chambaud s'adapte d'ailleurs si bien qu'il va même rebrousser chemin durant quelques jours pour faire route avec deux randonneuses!

La solitude, porte d'entrée vers soi-même

Mais la vérité est complexe. Ce n'est pas seulement sa capacité d'adaptation qui pousse le réalisateur à revenir en arrière mais aussi, voire surtout, un besoin impérieux de discuter avec des gens. "Cela faisait plus de 50 jours que je marchais tous les jours tout seul", souffle-t-il.

Les documentaires de la RTS: Via Alpina. [RTS / Via Alpina]
Les documentaires de la RTS: Via Alpina. [RTS / Via Alpina]

La solitude est source de souffrance, aucun randonneur ne le niera. Toutefois, elle est la clef de voûte pour se retrouver et mieux se connaître. "Le fait d’être seul, vraiment seul, t’oblige à travailler beaucoup plus ton mental", explique Elvira Jane Alarçon. La marcheuse hispanophone confie également que la solitude l'a aidée à se détacher "de toutes ces étiquettes que te collent les gens". Assurément, cette expérience "aide à être la personne que tu es réellement et à agir de manière plus sincère", assène-t-elle.

Une redondance méditative

Au fil des jours, une paix intérieure se dessine. "Tu es plus conscient des choses, tu as plus de temps pour toi, pour penser, pour observer", estime Gerd Juntermanns. "Une image que j’avais en tête, surtout quand j’ai commencé à marcher, c’était une pelote de laine enroulée dans ma tête. A chaque pas que je faisais, les pensées, elles, se défilaient", se souvient la Suissesse Jessica Davet.

Et si du silence jaillissent les pensées, les pas cadrent le mental. "Sur un sentier délicat, tu dois te concentrer. Ton esprit est focalisé sur une seule chose, sur le présent. Que tu le veuilles ou non, tu fais une expérience méditative", analyse Leonie Bremm. "Le côté répétitif, long, lent, peut amener à une sorte de transe", constate de son côté Lucas Fanton.

Sur la Via Alpina. [Matthieu Chambaud]
Sur la Via Alpina. [Matthieu Chambaud]

Une saine simplicité

Enfin, la nature, la solitude, le silence et la redondance des pas pourraient-ils vraiment suffire à connaître la transcendance s'ils n'étaient enrobés du dépouillement de ces âmes voyageuses? Peu de confort, peu d'objets, peu d'activités, peu d'aliments: "Les montagnes arrêtent la course. Ici je ne peux plus rien faire car il n'y a rien à faire. C'est seulement les montagnes et la solitude", décrit Ine Debrabandere.

Ne pas avoir le confort, c’est aussi confortable !

Jessica Davet, randonneuse sur la Via Alpina

"Tu te rends compte que tu as besoin de très peu pour être heureux dans ta vie", estime Walter Schramm, "Une soupe chaude, un lit, un abri... Tout le reste est simplement une invention que la société et les commerces essaient de te vendre".

La sérénité prend racine

Cols, vallées, sommets... la perception du temps et de l'espace se transforme. "Si tu prends l’avion depuis l’Europe vers l’Australie et que ça te prend 15 heures, tu as l'impression que le monde est tout petit. Quand tu marches, le monde reprend sa dimension réelle: c’est vraiment très grand", philosophe Walter Schramm.

A la fin du voyage, les randonneurs se perçoivent tous plus calmes et plus réfléchis. "Le voyage m’a permis de trouver une sérénité, de ne pas réagir trop vite face à la provocation d’un collègue ou d’un client. J’arrive à maintenir ce calme, et ça me permet d’agir de manière juste", analyse a posteriori Elvira Jane Alarçon.

Grâce à cette reconnexion à l'essentiel, presque tous les randonneurs ont achevé leur périple différemment de ce qu'ils avaient prévu. "Trouver son propre chemin. C’est peut-être ça que nous offre la montagne en nous obligeant à ralentir, à nous arrêter, à simplement habiter le temps", conclut le réalisateur.

Les Documentaires de la RTS - Caroline Briner

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