Si la loi ne prévoit encore rien pour les jeunes pères, plusieurs entreprises ont pris les devants. Les conventions collectives de travail et les contrats fixent les règles. A ce niveau-là, les multinationales sont les plus avant-gardistes. Les employés de Novartis bénéficient par exemple de 18 semaines et ceux de Google en ont 12.
Dès l'an prochain, le cigarettier Japan Tobacco International (JTI) - 1400 salariés en Suisse - proposera pour sa part un congé de 20 semaines aux jeunes parents.
"C'est un plan inédit en Suisse et dans le monde entier. Ces 20 semaines à 100% sont pour tout le monde, quel que soit le genre, l'orientation sexuelle, s'il s'agit d'une adoption, ou si les parents ont eu des enfants grâce une mère porteuse. Le but, c'est l'égalité", explique Femi Namfua, directeur des relations médias pour JTI, lundi dans La Matinale.
Cette politique familiale si progressiste serait-elle une manière de dorer l'image d'une entreprise qui fabrique du tabac? "Non, ce n'est pas le but du tout. Nous avons une fonction qui s'appelle 'Diversité et inclusion' et ils ont lancé ce congé familial. C'était vraiment un message fort pour dire que nous sommes sérieux et que nous voulons promouvoir le bien-être des employés", répond Femi Namfua.
Attirer des employés
Pour l'avocate Aline Bonard, spécialiste en droit du travail, la solution de JTI va très largement au-delà des obligations de l'employeur. "Cette entreprise devra donc financer tout ce qui n'est pas prévu par la loi, les allocations fédérales ou cantonales", précise-t-elle. Le cigarettier a refusé de communiquer les coûts de l'opération.
Isabel Valarino, collaboratrice au Service de la recherche en éducation à l'Etat de Genève, parle elle d'un moyen pour attirer des employés. "Ces entreprises s'alignent souvent sur ce que font les autres. Le congé paternité et le congé parental font partie de certains bénéfices que les entreprises peuvent proposer à leurs potentiels nouveaux employés, pour être des entreprises attractives. Cela peut aussi s'accompagner avec des conditions de deuxième pilier plus avantageuses, des programmes de santé, des infrastructures. Toute une série d'avantages pour pouvoir attirer des employés qui sont souvent une main-d'oeuvre assez qualifiée", analyse-t-elle.
Une "stratégie d'image" est également évoquée. "Certaines multinationales ou entreprises vont vouloir se démarquer, mettre en avant certaines valeurs et se montrer plus progressistes", indique Isabel Valarino.
Un coût "supportable pour les PME"
L'Union patronale suisse (UPS) est opposée au congé paternité de deux semaines, tout comme la faîtière des PME, l'Union suisse des arts et métiers (USAM). Candidat à la présidence de l'USAM, le conseiller national PDC tessinois Fabio Regazzi pense tout de même qu'un tel congé "est supportable pour les PME".
Plusieurs sociétés romandes proposent également déjà un congé pour les papas. La PME fribourgeoise Ascenseurs Menétrey offre par exemple dix jours de congé à ses employés masculins. C'est deux fois plus que ce que propose la CCT de l'industrie des machines.
Coûts et bénéfices
Ces congés ont un coût, mais il y a aussi des bénéfices, selon Isabel Valarino. "Des recherches scientifiques montrent que c'est aussi un choix rationnel. Avoir des politiques de diversité, qui favorisent la conciliation travail-famille, fait aussi sens du point de vue économique pour les entreprises.
Le stress au travail, l'absentéisme et le 'turnover' sont réduits, la motivation est renforcée. C'est positif pour les entreprises. Elles le comprennent de plus en plus et essaient d'aller dans ce sens", relève-t-elle.
Pauline Rappaz/gma
Pratique disparate dans l'administration
Dans les administrations cantonales, la pratique est très disparate. Genève, le Valais et le Jura offrent dix jours aux jeunes pères, tout comme l'Administration fédérale. A Neuchâtel, c'est le double.
Les cantons de Vaud et Fribourg proposent pour leur part 5 jours uniquement. Mais cela pourrait passer à 20 jours dans le canton de Vaud et 10 pour Fribourg. Les villes sont souvent plus généreuses que les cantons.
Pour Isabel Valarino, cette disparité est compliquée pour tout le monde. Un congé dans la loi permettrait de clarifier les choses et de faire en sorte que les jeunes pères se sentent plus légitimes de prendre un congé. Selon elle, la loi influence nos représentations de la société.