"Si on ne change pas radicalement notre façon de concevoir la sexualité, notre façon de la vivre, dans dix ans on pourra observer que les couples n'auront plus de relations sexuelles", prévoyait la sexologue Thérèse Hargot interviewée il y a un mois dans l'émission Egosystème sur La Première. "Ils auront encore une vie sexuelle, mais qui se vivra en dehors du couple: la pornographie, la prostitution, des rapports sexuels extra-conjugaux", poursuivait cette spécialiste.
Une étude américaine récente va dans le même sens que Thérèse Hargot. Elle a montré que l'activité sexuelle des jeunes adultes aux Etats-Unis a drastiquement diminué ces vingt dernières années.
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Selon plusieurs spécialistes en santé sexuelle contactés par la RTS, le semi-confinement récent a montré cependant que les jeunes ont besoin de se voir dans la vraie vie. Et si, pendant cette période, certains se sont envoyé beaucoup de sextos, messages, audios ou vidéos personnels à caractère sexuel, c'était souvent dans l'attente d'une rencontre face à face.
Pour Clémence (nom d'emprunt), jeune femme de 20 ans qui témoigne lundi dans La Matinale, la sexualité a beaucoup évolué par rapport à ce qu'elle entendait des générations précédentes.
Je trouve qu'on n'est pas hyper bien guidés pour cette nouvelle sexualité.
"Le sexe à deux n'a plus la même signification", dit-elle. "On vit des choses quand même super particulières et je trouve qu'on n'est pas hyper bien guidés pour cette nouvelle sexualité. Il y a le sujet de la sexualité en solitaire; je pense que c'est problématique au niveau de la consommation de pornographie, pas au niveau forcément de la pratique en soi".
Et pour Clémence, cela a beaucoup d'impact sur la sexualité des jeunes et sur la manière dont ils se comportent pendant l'acte. "Quand on va sur des sites 'mainstream' (…) c'est des pratiques vraiment violentes pour la femme. Ce n'est pas au goût de tous et toutes, et les gens prennent ça pour un acquis quand ils couchent avec quelqu'un pour la première fois. Ils pratiquent des choses qui sont relativement extrêmes pour quelqu'un qui n'aime pas forcément ça. J'ai vraiment beaucoup de connaissances qui ont subi des agressions sexuelles, des viols... C'est un gros, gros, sujet et il y a beaucoup de problèmes", confie-t-elle.
Le sexe devient une pression pour beaucoup de jeunes à cause de ce côté performatif.
Et le porno est aussi une source de stress pour la jeune femme. "Il y a toute cette dimension hyper théâtrale de la performance - pour l'homme en tout cas, pour la femme aussi, finalement - et je pense que, du coup, le sexe devient une pression pour beaucoup de jeunes à cause de ce côté performatif. C'est là que ça peut être problématique d'être à deux, devoir prouver à quelqu'un qu'on sait faire ce qu'on a vu dans le film, qu'on sait avoir l'image que cette personne dégageait, réussir à l'avoir aussi, l'assumer, la performer. Je pense que c'est ça la grosse pression pour la jeunesse dans la sexualité à deux".
Les contenus pornos prennent donc beaucoup de place dans la sexualité des jeunes, parce que leur accès est devenu toujours plus facile au cours des ans.
La dernière étude du Groupe de recherche sur la santé des adolescents d'Unisanté à Lausanne montre que 96% des garçons et 63% des filles dans ces âges-là ont déjà vu un site ou un film pornographique. "Cela peut être problématique pour certains jeunes qui vont éventuellement s'éduquer avec la pornographie", souligne la responsable de recherche Yara Barrense-Dias.
"Se construire sur la base de la pornographie devient problématique.
Par ailleurs, 8% des jeunes disent que leur première ressource est internet pour tout ce qui est question de sexualité - y compris la pornographie. "Donc se construire sur la base de la pornographie 'mainstream', où la femme a une position assez dégradante, avec des violences parfois sexuelles, c'est vrai que là ça devient problématique", relève la chercheuse.
Le rôle de l'éducation sexuelle
Les jeunes ont un smartphone en moyenne à l'âge de 11 ans. Pour Yara Barrense-Dias, il faut tenir compte de cette réalité et les accompagner avec une éducation sexuelle dès le plus jeune âge orientée, vers une approche positive - comme parler de plaisir, de consentement.
Mais il y a encore du chemin à faire: "On parle de cinq fois deux périodes au cours de toute la scolarité obligatoire pour couvrir un champ assez large, surtout avec ces nouvelles technologies et cet accès à la pornographie qui est omniprésent", rappelle-t-elle. C'est insuffisant à ses yeux et la solution pourrait peut-être passer par un partenariat entre l'école et la famille, voire la prévention par les pairs, pour aborder ces sujets tout au long de l'adolescence.
Dans tout cela, les médias numériques ont aussi de bons côtés, par exemple pour garder le lien en temps de confinement mais aussi comme sources d'information sur la sexualité.
Selon l'organisation Santé Sexuelle, avoir une sexualité solitaire - avec ou sans support - peut aussi permettre de mieux se connaître et avoir ensuite une sexualité plus épanouie avec l'autre.
Pauline Rappaz/oang