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Tout savoir sur le congé paternité et le congé parental en Suisse et en Europe

Seul pays européen à n'accorder ni congé paternité ni congé parental, la Suisse est l'Etat le moins généreux du Vieux-Continent pour les pères après la naissance d'un enfant. Mais si le congé paternité de deux semaines était accepté le 27 septembre, elle ne porterait plus le bonnet d’âne européen.

Dans deux semaines, les Suisses devront dire s'ils acceptent ou non l'introduction d'un congé de deux semaines pour les nouveaux pères. Pour l'heure, le congé paternité n'existe pas dans le droit fédéral. Tout au plus les hommes, à la naissance d'un enfant, peuvent-ils demander un jour de "congé usuel", comme lors d'un déménagement. Notons toutefois que, dans les faits, nombre d'employés, dans de grandes entreprises ou dans le secteur public, jouissent de conditions plus favorables.

Mais comment la Suisse se place-t-elle en comparaison européenne? Difficile d'y voir clair dans la jungle des différentes législations en Europe. En revanche, une chose est sûre: la Suisse, qui ne connaît ni congé paternité ni congé parental, est le pays en Europe où les pères sont les moins bien choyés à la naissance d'un enfant. Tous les autres pays - les 27 Etats membres de l'Union européenne, le Royaume-Uni, la Norvège et l'Islande - sont plus généreux en matière de congé.

>> Rouven Gueissaz explique les enjeux du vote dans le 19h30 :

Rouven Gueissaz: "La Suisse est le seul pays d’Europe sans congé paternité"
Rouven Gueissaz: "La Suisse est le seul pays d’Europe sans congé paternité" / 19h30 / 2 min. / le 15 septembre 2020

LE CONGÉ PATERNITÉ

Six des 31 pays européens analysés n'ont pas de congé paternité, selon le rapport annuel 2020 de l'International Network on Leave Policies ans Research (LP&R), un réseau d'experts international sur ces questions. Il s'agit de l'Allemagne, la Croatie, l'Islande, le Luxembourg, la Slovaquie et la Suisse. Le Luxembourg est toutefois un cas à part, car il n'accorde pas à proprement parler de "congé paternité", mais un "congé extraordinaire" de deux semaines, payé à 100%.

Il n'est pas illégitime d'ajouter la Norvège, l'Irlande et l'Autriche à cette liste. Leur arsenal législatif comprend un congé paternité de, respectivement, deux, deux et quatre semaines, mais celui-ci est assorti de mauvaises conditions financières. Dans les 22 Etats restants, en revanche, les nouveaux papas bénéficient d'un congé qualifié de "bien payé" par LP&R, c'est-à-dire correspondant au moins à 66% de leur revenu.

La durée du congé, par ailleurs, varie fortement d'un pays à l'autre. Malte (un seul jour, pour le secteur privé) et la Grèce (deux jours) sont les moins généreux. A l'autre extrémité, les pays les plus féconds en termes de jours de congé sont l'Espagne (12 semaines) et le Portugal (5 semaines). En France, les pères ont droit à 11 jours. L'Italie, elle, leur accorde sept jours de congé.

LE CONGÉ PARENTAL

Les choses se compliquent si on prend en compte le congé parental, qui peut intervenir en sus des congés maternité et paternité ou carrément les remplacer. Durant ce laps de temps plus ou moins long - allant par exemple de 4,2 mois au Royaume-Uni à six ans en Grèce -, l'emploi est garanti et, parfois, un revenu de substitution est versé. Dans ce domaine, la Confédération fait chambre à part.

La Suisse est en effet le seul Etat européen à ne pas avoir introduit de congé parental. Dans de nombreux pays, notamment en Europe du Nord, il s'agit pourtant de la colonne vertébrale de la politique familiale et d'égalité. La Norvège, peu généreuse en matière de congé paternité, accorde ainsi 13 mois de congé parental, dont 15 à 19 semaines réservées au papa. En Islande, les parents ont droit à 10 mois de congé payé, dont quatre mois pour les pères.

Reste que le congé parental n'est pas séduisant partout. C'est le cas pour la moitié environ des Etats en Europe. Dans sept pays, il n'est pas rémunéré du tout. Il s'agit de Chypre, de l'Espagne, de la Grèce, de l'Irlande, de Malte, des Pays-Bas et du Royaume-Uni. Sept autres pays - la Belgique, la Bulgarie, la Croatie, la France, l’Italie, la Lettonie et la Slovaquie - ont accouché d'un congé qui, bien que rémunéré, n’est pas jugé "bien payé" par LP&R.

ET SI LES SUISSES DISAIENT OUI?

Même s'il est prématuré d'affirmer avec certitude quelle sera l'issue de la votation du 27 septembre, on peut raisonnablement penser que le congé paternité de deux semaines verra le jour en Suisse au 1er janvier 2021. Plus de six Suisses sur dix prévoient en effet de dire oui à ce projet, si l'on en croit le deuxième sondage de l'institut gfs.bern pour la SSR, diffusé mercredi, moins de deux semaines avant le terme.

>> Témoignage de deux pères divisés sur le congé paternité :

Le congé paternité divise les pères: témoignages
Le congé paternité divise les pères: témoignages / 19h30 / 2 min. / le 15 septembre 2020

Dans ce cas, les Suisses ne seraient plus les parents pauvres en termes de congé accordé aux nouveaux papas. On peut considérer que ces derniers seraient un peu plus mal lotis dans huit pays européens (en rouge ci-dessous), à savoir ceux qui accordent un congé paternité payé de moins de deux semaines et qui rémunèrent mal (voire pas du tout) leur congé parental: la Croatie, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, Malte, les Pays-Bas, la République tchèque et la Slovaquie.

Par rapport à la Suisse, la situation resterait légèrement plus favorable dans cinq autres pays (en orange), tandis qu'elle continuerait d'être clairement meilleure dans les 17 pays restants (en vert). C'est particulièrement le cas pour nos voisins allemands et autrichiens, où les pères sont fortement incités à s'occuper davantage de leurs enfants grâce à un congé parental bien payé de plus d'un an. C'est moins le cas en France, qui connaît un congé paternité de 11 jours et un congé parental peu attrayant.

Le congé paternité et le congé parental en Europe. [RTS - Didier Kottelat]
Le congé paternité et le congé parental en Europe. [RTS - Didier Kottelat]

ET APRÈS?

Même en cas de oui dans les urnes, la Suisse resterait donc en queue de peloton au niveau européen. C'est pourquoi nombreux sont ceux, en particulier à gauche, qui estiment que l'introduction du congé paternité n'est qu'une étape vers la mise en place d'un congé parental proprement dit, sur le modèle de ce qui existe dans la majorité des pays d'Europe.

Un embryon a d'ores et déjà été déposé sous la Coupole fédérale l'an dernier, sous la forme d'une motion de la socialiste bernoise Nadine Masshardt. Ce texte demande la création d'un congé parental de 38 semaines après l'accouchement ou après une adoption, dont 14 semaines au moins pour chaque parent et dix semaines à se partager librement.

Au vu des forces en présence au Parlement et de l'opposition du Conseil fédéral, le projet semble difficilement viable, menacé d'être tué dans l'oeuf par le Conseil national. Cependant, le doute subsiste. Il y a un mois, lors de sa décision surprise de rejeter le congé paternité, le PLR avait exprimé sa préférence pour un modèle plus flexible permettant aux couples de s'organiser comme ils l'entendent: le congé parental.

Didier Kottelat

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Le projet de congé paternité en bref

Le projet de congé paternité soumis au peuple suisse se cache sous l'appellation un peu barbare de "modification de la loi sur les allocations pour perte de gain". A l'instar du congé maternité, le congé de deux semaines accordé aux pères serait en effet financé par les allocations pour perte de gain (APG).

Ce compromis a été arraché au forceps par la gauche au Parlement, sous la pression d'une initiative populaire demandant, elle, quatre semaines de congé. Il est combattu par l'UDC, à l'origine du référendum, et par le PLR. Tous les autres partis représentés sous la Coupe fédérale soutiennent cette nouvelle assurance sociale.

En cas de oui le 27 septembre, les pères en Suisse pourront prendre dès l'an prochain un congé de deux semaines après la venue au monde de leur enfant. Il sera possible de le prendra d'un seul tenant ou sous la forme de jours isolés dans les six mois après la naissance.

Comme pour les mères, les pères bénéficieraient d'une allocation correspondant à 80% de leur revenu, mais au maximum 196 francs par jour. Cela représente un montant maximal de 2744 francs pour les deux semaines, soit 14 indemnités journalières.

Le coût du congé paternité est estimé à 230 millions de francs par l'Office fédéral des assurances sociales. S’y ajouteraient 900 millions de francs, selon les opposants, si l’on prend en compte les coûts indirects, par exemple losqu'il faut prévoir un remplacement.

Le financement du projet est prévu via une augmentation du taux de cotisation aux APG, qui passerait de 0,45% à 0,5%. Cela représente 50 centimes de plus pour 1000 francs de salaire, dont la moitié sera prise en charge par l'empoyeur.

Comment expliquer le cavalier seul de la Suisse?

Comment expliquer que la Suisse soit le seul pays européen à n'avoir ni congé paternité ni congé parental? "Ce n'est pas très étonnant parce que, pour toutes les grandes réformes sociales, la Suisse a légiféré plus tard que la plupart des pays européens qui nous entourent", explique Giuliano Bonoli. Et le professeur de politique sociale à l’Institut de hautes études en administration publique de l'Université de Lausanne (IDHEAP) de citer l'AVS, l'assurance chômage ou encore l'assurance maternité.

Pour Giuliano Bonoli, cela s'explique par deux facteurs. "D'un côté, il y a une vision de la famille comme un domaine privé, dans lequel l'Etat n'a pas vraiment de rôle à jouer". Cette vision est selon lui plus forte en Suisse alémanique qu'en Suisse romande. L'autre facteur est la démocratie directe, qui jouerait le rôle de frein aux velléités d'instaurer de nouvelles assurances sociales. "La plupart des réformes sociales n'ont pas été acceptées lors de la première tentative, mais plutôt à la deuxième, la troisième voire la quatrième tentative, comme pour l'assurance maternité", relève-t-il.

En Europe, la tendance va vers la mise en place d'un congé parental partagé entre le père et la mère, avec une partie réservée aux pères, remarque Giuliano Bonoli. "Cet instrument est flexible et permet de moduler par rapport à d'autres objectifs de politique publique, par exemple l'égalité hommes/femmes", souligne le professeur.

Propos recueillis par Mathieu Henderson