Elles occupaient 32% des sièges en 2015. Elles en ont conquis 42% en 2019. Les femmes sont entrées en force au Parlement et ont su imposer leur vision en votant souvent à contre-courant de la majorité masculine de leur groupe.
La RTS a analysé tous les votes de ce début de législature. En identifiant les sujets où des élues n'ont pas voté comme les hommes de leur groupe parlementaire, nous avons établi une liste d'objets où les femmes ont fait basculer l'issue du suffrage (voir l'encadré sur la méthodologie). Sur 766 votes, cette "dissidence" de certaines députées a modifié le résultat à 78 reprises, ce qui correspond à 10% des objets.
Pour Nathalie Giger, professeure associée à l'Université de Genève en sciences politiques, ce résultat est "assez élevé". "On sait que le genre peut avoir un effet décisif dans les prises de position. Il faut néanmoins beaucoup d'éléments pour faire basculer un vote. Ce résultat est donc considérable", analyse-t-elle.
Un exemple marquant de ce phénomène a été le postulat sur l'inégalité salariale, qui a rassemblé l'ensemble des femmes de gauche, la quasi-totalité des femmes du groupe du centre (PDC, PEV et PBD), mais aussi une grande partie des élues PLR et une UDC. Les hommes de droite ont quasiment tous voté contre.
Sans la présence renforcée de députées au Conseil national, des sujets portant sur le thème de l'égalité, de la santé des femmes ou encore contre le sexisme ne seraient pas passés.
Les élues ont aussi été déterminantes sur des thématiques sociétales. Elles ont joué un rôle capital dans le rejet de la réforme de la loi sur le service civil, qui avait pour objectif d'en durcir les conditions d'accès. Pour Léonore Porchet (Verts/VD), ce résultat s'explique notamment par un poids moins prépondérant de l'armée dans l'hémicycle. "Les hommes gradés sont désormais moins nombreux au Parlement. C'est un des facteurs qui a permis de renverser le résultat", analyse-t-elle.
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Sur les sujets environnementaux, les votes des femmes ont aussi eu une incidence. Les élues ont fait basculer les votes de 12 objets sur 17 de la révision de la loi sur le CO2. "Au PLR, beaucoup de femmes voulaient aller plus loin que les objectifs fixés par le parti", confirme Jacqueline de Quattro (PLR/VD). Selon elle, "les femmes libérales-radicales sont plus engagées pour l'environnement que les hommes".
Pas d'accord sur les pesticides
Cette fibre plus verte chez certaines femmes de droite s'est aussi manifestée dans leur prise de position sur une initiative liée à l'utilisation de pesticides. Le texte, proposé par le socialiste Beat Jans visait à limiter l'usage de ces produits. Il fait partie des objets où la "dissidence" des femmes du centre-droit a joué un rôle déterminant sur le résultat du vote.
Déposée à la fin de la dernière législature, l'initiative avait été rejetée par la précédente – et plus masculine - commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie. Lors du vote de la session d'hiver de l'actuelle législature, une grande partie des femmes PLR et quelques élues du centre se sont ralliées à la gauche et aux Verts-libéraux. Un soutien crucial qui a fait basculer l'issue du résultat. L'initiative se trouve désormais entre les mains du Conseil des Etats.
Si les femmes ont modifié l'issue d'objets sociétaux et environnementaux, c'est en partie grâce aux votes des politiciennes de gauche, plus nombreuses. Mais la gauche n'est pas assez forte pour influencer l'issue des votes sans renforts. Ce sont les femmes du centre-droit qui jouent ce rôle de bascule.
Pour Nathalie Giger, il n'est pas étonnant que les femmes de droite se positionnent plus à gauche. "C'est quelque chose qu'on a déjà pu observer auparavant", explique-t-elle. La politologue constate toutefois que cette fibre plus écologique chez les femmes est assez nouvelle. "On le voit également dans les votes populaires."
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Divergences marquées au centre-droit
Le groupe du centre recense le plus de divergences internes. Selon nos calculs, pour 25 objets sur 762 votés lors de cette législature, femmes et hommes du centre ont affiché leur désaccord. Au PLR, c'est légèrement moins: la "dissidence" s'est manifestée pour 21 objets. À gauche et à l'UDC, le désaccord entre femmes et hommes ne s'est produit qu'à de rares occasions.
Pour certains thèmes de société, je peux me sentir plus proche des femmes vertes plutôt que des hommes de mon parti
Le vote final pour le mariage pour tous a soulevé une différence d'opinion notoire. Les femmes PDC ont en majorité soutenu le projet, contrairement aux hommes du parti, largement contre. Pour Marie-France Roth Pasquier (PDC/FR), cette brèche s'explique notamment par "une culture judéo-chrétienne plus marquée chez certains députés du parti". À noter également que de nombreuses femmes UDC se sont aussi prononcées pour, alors que chez les hommes, la tendance pour le non est très nette.
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"Au centre, nous sommes plus divisés", reconnaît Marie-France Roth Pasquier. Une situation qui s'explique, selon elle, par de nombreux facteurs: des divergences au niveau du genre, de la langue, ou encore de l'âge.
Pour la députée PDC, des questions de "sensibilité" aux sujets sociétaux sont également au cœur de ces divergences. "Pour certains thèmes de société, je peux me sentir plus proche des femmes vertes plutôt que des hommes de mon parti", témoigne-t-elle.
L'élue UDC Céline Amaudruz observe bien cette tendance. Elle regrette toutefois "le manque de réciprocité des femmes de gauche qui rejettent les propositions émanant de la droite". Elle a elle-même déjà été en désaccord avec la majorité masculine de son groupe, notamment sur le postulat sur l'inégalité salariale. "Il m'importe peu de savoir d'où vient le postulat si c'est en accord avec mes convictions", assure-t-elle.
Celles qui font basculer les votes
Sous la Coupole, il y a des femmes qui se retrouvent plus régulièrement que d'autres en porte-à-faux avec leurs collègues masculins. La RTS a analysé les votes dissidents de toutes les parlementaires afin de voir quelles sont les élues qui s'opposent le plus à la majorité des hommes de leur groupe.
Deux élues du Parti évangélique (PEV, groupe du centre), se situent dans le haut de la liste. Cette présence ne relève toutefois pas d'un clivage des genres: femmes et hommes du PEV votent quasi systématiquement de la même manière. Les trois élus du parti se situent le plus à gauche dans le groupe du centre.
Quand on vote différemment du groupe, parfois, on se fait taper sur les doigts.
Le groupe libéral-radical est également très divisé sur certains sujets. Des députées du parti figurent, en effet, en bonne posture sur la liste. Une position assumée par la nouvelle élue vaudoise Jacqueline de Quattro, qui raconte qu'il n'est pas toujours facile d'assumer ces prises de position: "parfois on se fait taper sur les doigts". Pour la Fribourgeoise Marie-France Roth Pasquier, voter différemment du groupe relève plutôt d'un cas de conscience: "c'est parfois une vraie prise de tête".
Pas de clivage des genres chez les Verts et les socialistes. Moins d'un pour-cent des voix féminines divergent de l'avis des hommes des deux groupes. Une situation qui s'explique, selon Jacqueline de Quattro, par "une discipline plus contraignante chez les partis de gauche".
Une affirmation que réfute l'élue verte Léonore Porchet: "les Verts sont le seul parti qui ne donne pas de mots d'ordre". Même si les questions d'égalité "sont au cœur du programme politique des Verts", la députée vaudoise avoue toutefois qu'il peut exister des divergences d'opinion entre les hommes et les femmes. Et d'ajouter qu'"aucun parti n'est exempt de sexisme".
Si l'entrée en force des femmes au Parlement s'illustre dans leurs prises de positions, l'effet de leur présence plus importante est aussi parfois plus discrète: "ce sont presque toujours des femmes qui arrivent à retourner le vote du groupe pour certains objets", souligne Jacqueline de Quattro.
Gabriela Cabré
Des tendances bousculées aussi dans les commissions
Avant d'être soumis à l'assemblée, les objets sont façonnés au sein des commissions parlementaires qui jouent un rôle clé dans le processus de prise de position. Celles-ci ont été bousculées avec l'arrivée massive de femmes. Celles de la science, de l'éducation et de la culture et de la santé et de la sécurité sociale ont historiquement rassemblé le plus de femmes. Pour la seconde, la tendance est même plus marquée pour cette législature, puisque les députées sont désormais plus nombreuses que les hommes avec près de 56% d'élues.
A contrario, d'autres commissions ont été plus masculines: celle de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie et la prestigieuse commission de l'économie et des redevances.
Cette année, les femmes ont fait leur entrée en force, notamment dans la commission de l'économie et des redevances. On y retrouve deux Vertes élues en 2019, dont une des plus jeunes parlementaires de cette législature, Franziska Ryser. Selon Delphine Klopfenstein Broggini (GE/Verts), c'est cette "affluence" d'élues du groupe des Verts qui a fait la différence. Elle souligne toutefois que les élues sous la Coupole doivent encore "se battre pour avoir accès aux commissions qui comptent".
Parmi "ces commissions qui comptent", celle de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie. La présence féminine y enregistre le bond le plus spectaculaire: on passe de 12% de femmes au début de la législature précédente à 36% pour l'actuelle. La présidente du Parlement, Isabelle Moret, a en effet dû "attendre son tour" pour accéder à certaines commissions. "Au début, dans mon groupe, si on était jeune, femme et romande, c'était plus compliqué d'accéder à certaines commissions que maintenant", se rappelle-t-elle.
Pour certaines élues, avoir des commissions plus féminines, c'est aussi s'assurer une meilleure expertise. Selon Yvette Estermann (LU/UDC), "les femmes sont très impliquées dans les commissions et connaissent bien la matière, probablement parce qu'elles ont moins de mandats externes que les hommes".
Plus de femmes dans les commissions, mais toujours très peu de présidences obtenues. Seules quatre femmes occupent cette position. Une situation qui s'explique en partie par le niveau d'ancienneté des parlementaires.
Méthodologie de cette enquête
Cette enquête repose sur les données du Parlement. Afin de mesurer l'effet de la présence des femmes au Conseil national, nous avons analysé tous les votes de la législature en cours. Nous avons comparé la différence de prise de position des parlementaires selon leur sexe. Nous avons ainsi pu établir la liste des sujets où les femmes ont joué un effet de bascule et ont renversé l'issue du vote. Nous avons également comparé la différence de prise de position de chaque élue avec la majorité masculine de son groupe. Nous avons ainsi pu établir une liste des politiciennes les plus "dissidentes", soit celles qui se sont le plus opposé à leurs homologues masculins.