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Les travailleuses en Suisse, "premières victimes de la libre circulation"?

En Suisse, les femmes sont largement majoritaires parmi les personnes en sous-emploi. [Keystone - Gaetan Bally]
Les femmes sont-elles majoritaires parmi les personnes en sous-emploi? / La Matinale / 2 min. / le 28 août 2020
La conseillère nationale Céline Amaudruz (UDC/GE) a indiqué sur les ondes de la RTS jeudi que "les femmes sont les premières victimes de la libre circulation" en termes de sous-emploi. Or, aucune donnée ne permet de confirmer cette corrélation.

"Les femmes sont les premières victimes de la libre circulation. Nous avons en Suisse environ 830'000 personnes en sous-emploi. Cela représente 73,6% de femmes", a déclaré Céline Amaudruz dans La Matinale du 27 août.

>> Les propos de Céline Amaudruz dans La Matinale :

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"Les femmes sont les premières victimes de la libre circulation", selon Céline Amaudruz / L'actu en vidéo / 15 sec. / le 27 août 2020

Par travailleurs en sous-emploi, on entend les personnes ayant une activité professionnelle à temps partiel, qui souhaitent augmenter leur taux de travail et qui sont immédiatement disponibles.

En 2018, 7% des personnes actives en Suisse étaient en sous-emploi, selon les données de l'Office fédéral de la statistiques. Parmi elles, 73,6% étaient effectivement des femmes. Un taux qui a très légèrement augmenté en 2019, pour atteindre 73,9%.

Pas de lien avéré avec la libre circulation

Mais contrairement à ce qu'affirme l'élue genevoise, il ne semble pas y avoir de lien avéré entre le sous-emploi des femmes et la libre circulation des personnes. L'OFS ne disposant de données sur le sous-emploi que depuis 2004, il est toutefois impossible de comparer la situation avant et après l'ouverture des frontières en 2002. "Je n'ai pas connaissance d'une étude statistique solide qui aurait démontré ce lien", rapporte Marius Brülhart, professeur d'économie à HEC Lausanne.

De son côté, José Ramirez, professeur à la Haute école de gestion de Genève, est plus catégorique: "Le fait que les femmes se trouvent davantage en temps partiel que les hommes n'est en tout cas pas lié à la migration."

Et l'économiste d'ajouter: "C'est avant tout lié à l'organisation au sein des ménages. Encore aujourd'hui, en Suisse, on est dans une forme de caricature où l'homme travaille à plein temps et où la femme, si elle travaille, le fait plutôt à temps partiel. Car elle doit s'occuper des tâches domestiques et familiales." A noter que le sous-emploi en Suisse touche, en effet, surtout les femmes qui ont des enfants, d'après les données statistiques.

Plus de 350'000 personnes en sous-emploi

Le chiffre de 830'000 personnes en sous-emploi, également avancé par Céline Amaudruz, est toutefois erroné. Ce total correspond en fait au "potentiel de forces de travail non utilisées en Suisse", selon les termes de l'OFS.

Il comprend en réalité 356'000 personnes en sous-emploi. Le reste concerne 231'000 chômeurs et 243'000 individus qui sont à la recherche d'un emploi, mais qui ne sont pas disponibles dans l'immédiat.

>> Interview de Giovanni Ferro-Luzzi, professeur à la faculté d’économie et de management de l’UNIGE, dans La Matinale :

La Suisse championne européenne du sous-emploi: interview de Giovanni Ferro-Luzzi
La Suisse championne européenne du sous-emploi: interview de Giovanni Ferro-Luzzi (vidéo) / L'invité-e d'actualité / 7 min. / le 28 août 2020

La Suisse championne du sous-emploi

La Suisse est particulièrement concernée par le sous-emploi: elle détient le record européen en la matière, se situant largement au-dessus de la moyenne de l'UE (3,4%). Dans le haut du tableau, on trouve également l'Espagne (5,6%), Chypre (5,4%) et la Grèce (5,2%). A l'inverse, la Hongrie (0,7%), la Bulgarie (0,6%) et la République tchèque (0,4%) occupent le bas du classement.

Dans tous les États membres de l'Union européenne et de l'Association européenne de libre-échange (AELE) - Roumanie exceptée - le taux de sous-emploi des femmes est supérieur à celui des hommes.

Mathieu Henderson et Cléa Favre

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