A quelques semaines de la votation sur l’initiative de limitation qui aimerait résilier la libre-circulation des personnes avec l’Union européenne, agendée au 27 septembre prochain, que pensent les habitants des régions qui avaient accepté le précédent texte de l'UDC contre l'immigration de masse, le 9 février 2014?
La RTS est retournée prendre la température, six ans après, dans trois d'entre elles: le Val-de-Travers (NE), la commune d'Unteriberg dans le canton de Schwyz, et le Tessin.
Val-de-Travers, la crainte du dumping salarial
La commune neuchâteloise de Val-de-Travers avait été l'une des rares en Suisse romande à avoir soutenu l’initiative UDC en 2014 (50,4% de oui). Aujourd'hui comme hier, la question des frontaliers français et du dumping salarial est un thème important dans la région. Pour Ronald Morand, patron du restaurant Pizza'fun à Fleurier, un reproche revient régulièrement dans les conversations de ses clients: "Si les cadres [des entreprises] sont Français ‒ c’est ce qu’on entend dire et c’est ce qui fait un peu souci ‒ ils vont plus engager des Français ou être dans une culture un peu différente de la nôtre".
Si les cadres des entreprises sont Français, ils vont plus engager des Français ou être dans une culture un peu différente de la nôtre
Plusieurs des entreprises horlogères de la région ont refusé de s’exprimer sur la question délicate du nombre de frontaliers engagés chez eux. Une exception toutefois, le fabricant d’aiguilles HMS Waeber. L’entreprise essaie de donner l’exemple en ne dépassant pas 35% de frontaliers dans son personnel. L’objectif n’est pourtant pas atteint actuellement, car les résidents locaux n’ont parfois pas les compétences nécessaires ou ne veulent pas se déplacer. Selon Laurent Waeber, directeur de HMS Waeber, "force est de constater que nos voisins français hésitent peut-être un peu moins à faire des kilomètres pour gagner leur vie". Pour son entreprise, dit-il, les accords bilatéraux sont très importants.
A l'inverse, le tourisme d’achat est un problème pour les commerces de la région. Boucher à Couvet, Rémy Bohren en souffre. Il ne sait pas encore ce qu’il va voter sur l'initiative de limitation, mais note qu'au début des années 2000, à l’époque où il y avait encore des contingents, il n’avait pas eu de mal à engager un frontalier, même sans accord de libre-circulation. "Aucun Suisse ne s’était présenté pour ce poste et il avait suffi de remplir quelques formulaires pour l’engager".
Unteriberg veut rester un petit village
La commune rurale d’Unteriberg, dans le canton de Schwyz, avait approuvé à 87,7% l'initiative UDC en 2014. Ici, le problème du dumping salarial n’est pas prioritaire, mais dans une entreprise de charpente du centre du village, un des employés affirme qu'il voterait à nouveau oui: "Avec la crise du Covid-19, le chômage va de nouveau augmenter. Il nous faut un instrument pour dire nous-mêmes combien de gens peuvent rentrer dans le pays". Pour un autre employé de l’entreprise, l’initiative UDC de 2014 était surtout une manière de préserver son village tel qu'il est aujourd'hui. "Plus il y aura de gens, plus ça ressemblera à la ville. Et ça, je ne le veux pas. Je veux que ça reste la campagne. Je veux que mes enfants puissent grandir comme j’ai grandi…"
Plus il y aura de gens, plus ça ressemblera à la ville. Je veux que ça reste la campagne. Je veux que mes enfants puissent grandir comme j’ai grandi
Dans le café d'Unteriberg, pour le repas de midi, une cliente résume pourquoi le village ne veut pas ressembler aux centres urbains: "Il y a simplement trop de bruit dans la ville. Les voitures, l’animation... Et les gens ne sont pas trop amicaux. Ici, les gens sont simplement gentils".
Le Tessin, canton où les villes ont voté oui
Contrairement au reste de la Suisse, au Tessin, même les grandes villes comme Lugano (67,3% de oui), ont approuvé l’initiative UDC en 2014, signe qu'une partie des couches urbaines et bien formées de la population ont sans doute aussi soutenu le texte. Une des raisons pourrait être que des professions libérales comme les architectes ou les ingénieurs sentent désormais la concurrence des travailleurs frontaliers italiens. L'Association patronale des bureaux d’architectes et d'ingénieurs tessinois (ASIAT) reconnaît d'ailleurs le problème. Pour éviter le dumping salarial et une concurrence déloyale, elle a accepté d’introduire une CCT de branche. Pour un architecte, par exemple, le salaire minimum sera d’environ 70'000 francs par an. Pour Luca Pagnamenta, président de l’ASIAT, "on espère qu’avec la CCT, on aura une régularisation de l’emploi et les mêmes conditions pour tous".
Le vrai problème, ce sont les clients italiens des banques qui ne viennent plus
Une autre branche a probablement voté majoritairement en faveur de l’initiative UDC: le secteur financier. C’est en tout cas l’avis de Matteo Gianini, président tessinois de l'Association syndicale des employés de banque (ASEB). Ce vote s’expliquerait par la peur ressentie par les banquiers locaux, car de nombreux établissements ont fermé leurs portes ces dernières années. Le paradoxe, relève Matteo Gianini, est que la disparition de ces emplois est due à la fin du secret bancaire et n’aurait rien à voir avec les frontaliers italiens ou la libre-circulation des personnes. "Le vrai problème, ce sont les clients italiens des banques qui ne viennent plus".
Sujet radio: Pierre Nebel
Adaptation web: Vincent Cherpillod