Il y a tout juste six mois, le Conseil fédéral décrétait le semi-confinement: rues désertes, rayons de supermarchés pris d'assaut, écoles, salles de spectacles et restaurants fermés.
Un printemps difficile, en particulier dans les services de soins intensifs des hôpitaux. Les malades du Covid-19 intubés ont symbolisé cette crise sanitaire. Mais comment vont-ils aujourd'hui?
Tous les services de soins intensifs en Suisse romande ont reçu des malades du Covid. La plupart d'entre eux ont été intubés. Ce sont les deux hôpitaux universitaires romands qui ont pris en charge le plus grand nombre de patients. Environ 130 patients ont été intubés au CHUV depuis le mois de mars, et dix de plus aux HUG. Entre 15 et 20% d'entre eux sont décédés.
Une décision rapide
La majorité des patients intubés sont sortis de l'hôpital quelques jours ou quelques semaines plus tard. Pour Guy Barbey, 56 ans, tout est allé très vite après son diagnostic. Un médecin lui a annoncé qu'il allait l'endormir pendant une semaine.
"Vous n'avez le temps de rien faire, vous ne pouvez pas appeler vos proches, vous ne pouvez rien faire. On m'a intubé, puis extubé après six jours. Je me souviens assez bien de mon réveil: au moment de l'extubation, vous crachez vos poumons, ce n'est pas très joli à voir. Mais vous sentez une sorte de soulagement. Je pouvais bien mieux respirer. J'étais vivant, je me suis dit 'tout va bien'!"
Guy Barbey a été le premier malade intubé et extubé aux HUG. Que lui est-il resté de cet épisode très spécial? "Psychiquement, j'espère que tout va bien. Physiquement, c'est assez bateau, mais je ressens une fatigue... je suis content d'aller au lit le soir, ce qui n'était pas vraiment mon cas auparavant! Je suis assez content quand la journée se termine".
Parfois des séquelles à vie
Guy Barbey ressent de la fatigue, mais il a vite repris sa vie d'avant. Ce n'est toutefois pas le cas de tous les malades: selon le professeur Von Garnier, du CHUV, "une partie des patients ne récupèrent pas. Certains resteront en chaise roulante, devront prendre de l'oxygène ou des médicaments pendant longtemps, peut-être même à vie".
Charles-Henry Rochat, sportif, a été sévèrement touché. Il a fait presque deux mois de rééducation après un réveil compliqué. "J'étais anxieux parce que j'étais mal dans mon corps, mais je n'avais plus peur de mourir, puisque j'avais eu l'occasion de mourir dans les deux semaines où les complications s'enchaînaient lorsque j'étais intubé".
Ce médecin de 67 ans était soucieux de son état, "Tout d'un coup, j'étais en manque de perspective parce que j'avais perdu 12 kilos. Je ne parlais pas avec la canule. J'avais beaucoup de peine à déglutir, et puis je ne me tenais pas debout, je ne marchais pas".
De l'espoir
Charles-Henry Rochat s'entraînait régulièrement sur le Salève: "Je pensais ne plus jamais pouvoir y monter. Cette montagne est mon terrain de jeu. Au mois de mars encore, je m'entraînais pour la grande Patrouille des glaciers et j'allais souvent en haut du Salève".
Après sa maladie, les marches d'un escalier lui faisaient peur. Monter au Salève était un but inaccessible. "Et puis en fait, j'y suis remonté! C'est un peu symbolique d'avoir cette montagne devant moi, c'est la montagne de l'espérance", a-t-il confié, avec l'impression d'avoir reçu un "bonus" pour profiter de la vie.
Des discussions avec les assurances
Il n'y a pas de programme spécifique de prise en charge des patients qui sortent de l'hôpital. Parfois de la rééducation et un suivi pneumologique ou neuropsychologique. C'est souvent le médecin traitant qui prend le relais.
Certains malades trouvent étrange ce manque de soutien, de fil conducteur. Le Service de pneumologie du CHUV étudie les séquelles respiratoires dues au Covid-19. Il suit une quarantaine de patients. Les conséquences de la maladie peuvent peser lourd sur certains d'entre eux.
Et le professeur Von Garnier estime que "c'est encore trop tôt pour toucher l'assurance invalidité. Le corps soignant a beaucoup de mal à négocier avec les caisses maladie pour qu'elles prennent en charge les traitements".
Pauline Rappaz
"Des symptômes qui ressemblent parfois à ceux de soldats qui reviennent du front"
"Les personnes intubées vont présenter des symptômes qui ressemblent parfois à ceux de soldats qui reviennent du front, avec des troubles psychologiques, mais aussi physiques, liés à une atteinte extrêmement sévère pendant deux ou trois semaines", a expliqué le médecin-chef du Service des soins intensifs des HUG Jérôme Pugin dans La Matinale de la RTS lundi.
"Ca fait partie du syndrome de stress post-traumatique, il n'y a rien de très spécifique au Covid", poursuit le spécialiste. "C'est simplement lié à la violence de ce qu'ils ont dû vivre pendant l'hospitalisation." Il évoque notamment de gros trous de mémoire ou des rêves très particuliers.
Les séquelles montrent aussi que la maladie n'est pas que respiratoire: "Les atteintes sont aussi neuro-musculaires, psychologiques. Ces dernières peuvent être très difficiles à détecter, car les patients veulent donner le change. Mais quand on les teste, on voit bien que certains pans de leur activité psychologique sont atteints: anxiété, dépression...", constate Jérôme Pugin.
"On n'a pas trop intubé aux HUG"
Pour étudier plus en détail les conséquences des intubations, les HUG ont mis en place depuis 2018 une consultation post-soins intensifs. Les patients qui y sont restés pendant une durée significative sont invités six mois, puis une année après leur sortie. "L'idée est de voir ce qui reste de cette hospitalisation, de pouvoir refaire le film avec eux. Ici, ça nous nourrit aussi beaucoup. Souvent, on a de très bonnes surprises", témoigne le chef des soins intensifs genevois.
Certaines voix ont critiqué des intubations trop systématiques des patients sévèrement touchés par le Covid-19. "C'est possible dans certains endroits. Mais quand on regarde la sévérité des malades qui sont arrivés à Genève aux soins intensifs, je pense qu'ils seraient décédés dans l'heure ou les deux heures qui suivaient si on ne les avait pas intubés", avance le médecin, qui a "l'intime conviction qu'on n'a pas trop intubé aux HUG". Il évoque, à Genève, un taux de mortalité inférieur à 20% aux soins intensifs.
Propos recueillis par Romaine Morard
Adaptation web: Vincent Cherpillod
Les intubations en Suisse romande
Les deux hôpitaux universitaires romands ont eu la grande majorité des cas les plus sévères de Covid-19.
A Genève, durant la pandémie, 140 patients ont été hospitalisés aux soins intensifs, parmi eux 96% ont été intubés. Le Service des soins intensifs du CHUV a, lui, traité 130 patients depuis le 4 mars 2020. Actuellement deux patients COVID sont aux soins intensifs. Dans ces hôpitaux, le taux de mortalité avoisine les 20%.
En Valais, sur les 47 patients qui ont été intubés, 7 sont décédés. A Neuchâtel, il y a eu 24 intubations orotrachéales pour 6 décès.
Douze personnes sont passées par les soins intensifs de l’hôpital du Jura, dont 8 intubées. Tous les patients sont sortis des soins intensifs en ayant retrouvé leur autonomie respiratoire. A Fribourg, 55 cas Covid ont été admis aux soins intensifs avec besoin d’une ventilation (dont 37 intubés). Douze personnes sont décédées.
L’Hôpital fribourgeois estime que les hôpitaux en Suisse n’ont pas eu la même approche par rapport à l’intubation. Certains ont intubé pratiquement tous les malades, d’autres (dont l’HFR) ont pu éviter des intubations grâce à la ventilation non-invasive (masque sur le visage, relié au respirateur).
Émission spéciale 36.9: "je me suis réveillée avec un tube dans la gorge"
Le COVID nous impose des restrictions chaque jour plus sévères. Il est plus que jamais nécessaire de rappeler pourquoi nous luttons collectivement, afin d’éviter une nouvelle flambée du virus. 36.9 vous propose de revivre la première vague du printemps dernier dans le canton de Vaud, le plus touché de Suisse. Pendant 6 semaines, notre caméra a pu pénétrer au cœur des Urgences et des Soins intensifs du CHUV. Nous avons suivi le combat des patients intubés, leur réveil douloureux et leur lente rééducation, avec la crainte de garder des séquelles. Une réalité indispensable à montrer, pour nous rappeler le sens de notre effort solidaire.
36.9 mercredi 16 septembre à 20h10 sur RTS1