Interrogé dans La Matinale de la RTS sur le fait que le suspect de l'attaque au couteau de Morges avait été libéré de prison sur la base d'expertises psychiatriques, le professeur Panteleimon Giannakopoulos souligne qu'une pathologie peut être traitée et permettre à une personne de vivre dans la société à un moment donné, mais que la situation peut changer.
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S'il refuse de se prononcer sur le cas précis sans une analyse détaillée, l'expert concède que "le risque zéro n'existe pas et qu'il faut pouvoir vivre avec. Les maladies psychiatriques incluent un degré d'imprévisibilité par rapport à la réaction de l'individu. Il faut garder une vision modeste et humble de ce qu'on peut faire. Il faut agir de manière résolue en ayant conscience de ses responsabilités, mais sans croire qu'on a une toute-puissance thérapeutique, car tel n'est pas le cas".
Terrorisme ou maladie mentale
"La différence entre les actes d'un malade mental et ceux d'un terroriste est de savoir dans quelle mesure une personne est consciente de ce qu'elle fait", indique Panteleimon Giannakopoulos.
C'est le travail des experts de déterminer à quel moment une maladie s'est déclarée et quelles sont ses caractéristiques. "Mais toutes les maladies mentales n'affectent pas la capacité de discernement de la même manière, ni à tous les moments de la vie. Des personnes peuvent souffrir d'une maladie au long cours, mais avoir à un moment précis leur capacité de se déterminer", détaille le professeur de psychiatrie.
Le jeune homme mis en cause à Morges, déséquilibré psychiquement, en rupture avec sa famille turco-suisse établie dans l’ouest lausannois, était surveillé activement depuis 2017 comme un individu radicalisé.
Il a été incarcéré en avril 2019 après avoir tenté de mettre le feu à une station d’essence de Prilly (VD). Il a été libéré de prison préventive au mois de juillet de cette année. Mais le filet social et psychologique mis en place par le Ministère public de la Confédération en concertation avec les autorités vaudoises n'a pas suffi.
Saisir à quel moment une personne condamnée à un suivi psychiatrique décroche et peut redevenir dangereuse pour la communauté est central
En Suisse, "un certain nombre de personnes ont une obligation de soins basée sur le code pénal et ce sont des situations où la surveillance doit être très serrée par rapport à l'absence aux rendez-vous et à la prise de médicaments". "Saisir à quel moment une personne décroche et peut redevenir dangereuse pour la communauté" est central, explique le professeur.
Environ 200 personnes suivies à Genève
Prenant l'exemple de Genève, où il est responsable médical de l'établissement Curabilis, Panteleimon Giannakopoulos indique que dans les cas d'une maladie psychiatrique importante, les personnes peuvent être prises en charge en milieu hospitalier, mais que 200 à 250 personnes sont aussi contraintes à un suivi ambulatoire.
Pour qu'une personnes puisse sortir et être suivie en milieu ouvert, il faut premièrement "un travail sur le délit, soit la capacité de la personne à se remettre en question par rapport à ce qu'elle a pu commettre et dans quelle mesure elle est prête à changer son comportement pour éviter une récidive", détaille le professeur.
La "compliance médicale", soit déterminer si la personne accepte d'être suivie et de prendre des médicaments, entre aussi en compte. Enfin, "l'analyse criminologique, donc l'analyse de la dangerosité" doit notamment déterminer si la personne sera soutenue à l'extérieur, car "le lien est très important pour éviter une récidive", selon Panteleimon Giannakopoulos.
Propos recueillis par Romaine Morard
Adaptation web cab
Un arsenal juridique limité
Invité sur le plateau du 19h30 mardi, le professeur de droit pénal de l'Université de Lausanne Alain Macaluso estime que l'affaire de Morges "est un exemple dramatique des tensions qui peuvent exister entre la nécessité de protéger la société et les citoyens de ce genre de crimes odieux et celle de protéger les droits fondamentaux".
"Des droits fondamentaux sans lesquels une société verse dans l’arbitraire, ce qui conduit souvent à un mal plus grand que celui qu'on cherche à éviter".
Pour le professeur de droit, la réponse au terrorisme doit être multiple. S’il convient d’avoir une réponse pénale "sans angélisme", il faut aussi mettre en place des mesures socio-éducatives, médicales et administratives (comme la déchéance de nationalité pour les binationaux ou les expulsions administratives).
Limites de l'Etat de droit
"Il ne faut pas perdre de vue que le coeur du problème, c’est essentiellement la prévention. Que fait-on à l’égard d’une personne qui présente un risque de dérive terroriste mais qui n’a pas encore commis d’infraction? Le vrai problème est là."
Des mesures de prévention policières s'attaquant à ce dilemme sont en discussion au Parlement fédéral. Mais "la compatibilité de ces mesures avec le droit supérieur, et en particulier la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH), est douteuse (…). Et pourtant, on est obligé de faire quelque chose. On atteint la limite de notre Etat de droit malheureusement".