Il est près de 22 heures, mercredi soir, lorsque la partie plaignante et la défense pénètrent dans le hall principal du Tribunal de Paris. La confrontation entre Tariq Ramadan et la plaignante suisse, qui a débuté à 12h30, vient d’être interrompue. Elle devrait se poursuivre en octobre ou en novembre.
Dans le hall, trois journalistes et quelques personnes chargées de la sécurité sont encore présents. Les agents ont été bien occupés quelques minutes plus tôt lorsqu'ils ont dû expliquer à la famille et aux proches de Tariq Ramadan qu'ils n'avaient pas le droit de rester dans le hall du tribunal à cette heure-ci.
Dans un premier temps, ceux-ci ont refusé de quitter le tribunal avant de finalement accepter à condition que les journalistes soient aussi expulsés du tribunal. Une requête insolite rejetée par les forces de l’ordre.
"Un viol atroce"
Dans un tribunal presque vide, Me Robert Assaël, avocat suisse de la plaignante, est revenu sur ce qui se serait passé dans la nuit du 28 au 29 octobre 2008 dans la chambre d’hôtel de Tariq Ramadan, située près de la gare Cornavin. "Notre cliente a subi pendant plusieurs heures un viol atroce, d’une violence sans limite. Elle a été détruite et elle a eu une peur constante de mourir. C’est ce qu’elle a vécu et ce qu’elle a raconté aujourd’hui avec un courage et une dignité extraordinaire", confie-t-il.
Alexandra Lopez, autre avocate suisse de la plaignante, ajoute que la cliente s’est fait traiter de "menteuse" lors de la confrontation. "Cela ajoute à la douleur qu’elle vit depuis deux ans", explique l’avocate.
A une vingtaine de mètres de la présumée victime et de ses conseils, Tariq Ramadan discute avec ses avocats. Ces derniers semblent remontés. En résumé, ils reprochent à la plaignante d’avoir sollicité l’interruption de la confrontation alors qu’elle demande à être confrontée à Tariq Ramadan depuis le dépôt de sa plainte, il y a deux ans et demi.
Pour Me Guerric Canonica, cette demande d’interruption est tombée à un moment opportun: la défense s’apprêtait à lui poser des questions sur sa version des faits du présumé viol. "Elle invoque de manière totalement opportuniste, alors qu’elle est en pleine forme, son état de fatigue pour ne pas répondre aux questions qui sont gênantes et qui auraient définitivement mis à mal et détruit sa version des faits. Une version qui est aujourd’hui insoutenable et mensongère."
Une version qui "ne repose sur rien"
L’avocat genevois estime que si la plainte ne portait pas sur Tariq Ramadan, "aucune procédure n’aurait été ouverte à Genève tant la version des faits est invraisemblable et ne repose sur rien".
Selon Me Yaël Hayat, autre avocate de Tariq Ramadan, il n’y a pas eu de viol ni de rapport sexuel consenti dans la chambre. "Lors de son audition de juillet, notre client a relaté et raconté la rencontre qui s’est prolongée dans la chambre d’hôtel et qui a abouti à un lien charnel qui n’a pas pris le trait d’une relation intime. Notre client a déclaré qu’il n’a jamais eu de relation sexuelle avec la plaignante, encore moins de relation sexuelle imposée. D’aucune façon cette femme n’a été contrainte d’entrer dans sa chambre ni d’y demeurer."
Selon nos informations, la carte maîtresse de la défense, ce sont les messages échangés entre Tariq Ramadan et la plaignante avant et après la rencontre à l’hôtel. Des messages figurant dans la plainte pénale, un document en possession de la RTS.
Des SMS, atout majeur de la défense?
Prenons un exemple. La plaignante affirme avoir pu quitter la chambre de Tariq Ramadan vers 6h30 du matin. Moins de deux heures plus tard, à 8h19, elle lui envoie le message suivant : "Donne-moi un quelque chose à quoi me raccrocher. Je suis en train de paniquer et je rêve de t’embrasser. Et je rêve que tu aies confiance en moi." A 8h51, elle lui écrit: "Tu es un homme merveilleux, que j’aimerais pouvoir apaiser."
Pour Me Hayat, ces messages sont accablants pour la plaignante: "On ne peut pas soutenir un seul instant avoir été violentée par cet homme et à peine une heure plus tard lui écrire de tels mots."
L’avocate enfonce le clou en affirmant que "plus grave que le viol, il y a la dénonciation calomnieuse. La parole de la plaignante n’est pas fiable".
Une plaignante "sous emprise"
Les avocats de la présumée victime, eux, invoquent une plaignante qui était "sous l’emprise" de Tariq Ramadan et qui a mis du temps à comprendre ce qu’elle avait subi. Une thèse de l’emprise soutenue par d’autres plaignantes françaises.
De source proche du dossier, lors de la confrontation de mercredi, les magistrats instructeurs ont passé en revue les messages échangés avant la rencontre à l’hôtel et interrogé la plaignante sur sa version des faits de la rencontre.
Lors de la prochaine confrontation, les avocats de la défense pourront questionner la plaignante sur sa version. Tariq Ramadan sera aussi interrogé sur la sienne. Les enquêteurs s’intéresseront également aux messages échangés après la nuit passée dans la même chambre.
Fabiano Citroni/ther