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Les musées d'ethnographie repensent leur héritage colonial

De Genève à Coire, les musées d'ethnographie veulent décoloniser leurs collections.
De Genève à Coire, les musées d'ethnographie veulent décoloniser leurs collections. / 19h30 / 2 min. / le 12 octobre 2020
La présence d'objets coloniaux dans les musées suisses soulève de nombreuses critiques. Certaines institutions, comme le Musée d'ethnographie de Genève et le Musée rhétique de Coire, se lancent dans un processus de décolonisation de leurs pratiques et de leurs collections.

Dans le sillage des mouvements antiracistes tels que "Black Lives Matter", la présence d'objets coloniaux dans les musées suisses pose de nombreuses questions. L’ethnographie, science datant du XIXe siècle, est de plus en plus confrontée à des attitudes critiques de la part du grand public.

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Le débat sur cet héritage - revêtant souvent une part sombre de l’Histoire - pousse certains musées à entamer un "processus de décolonisation" concernant leurs pratiques. "On reçoit de plus en plus de requêtes, que ce soit à Genève ou au niveau national ou international. Les gens se posent la question de savoir d'où viennent ces objets, qui les ont apportés et à quoi ont-ils été utilisés pendant autant de temps", explique Boris Wastiau, directeur du MEG.

L'institution a mené de nombreuses démarches de recherche sur la provenance de ces objets, à l’instar de cette défense sculptée, originaire du sud du Nigeria, pillée par les Britanniques en 1987.

Défense d'éléphant sculptée, Nigéria, période Edo, vers 1735. [DR]
Défense d'éléphant sculptée, Nigéria, période Edo, vers 1735. [DR]

Le musée veut désormais aller plus loin: il s'est donné pour objectif de "décoloniser" sa façon d'aborder les collections. "Ce projet vise notamment à entrer en relation avec les parties prenantes, avec les personnes qui se sentent interpellées par la manière dont on parle des cultures auxquelles elles se sentent attachées. Le visiteur verra les mêmes objets mais ils seront interprétés collectivement en intégrant d’autres points de vue", ajoute Boris Wastiau.

Les réflexions se poursuivent aussi au musée rhétique de Coire dans les Grisons. Leur réserve abrite une collection ethnographique ramenée par des voyageurs suisses, provenant notamment du Congo. "Nous ne savons pratiquement rien de ces objets, si ce n’est qu’ils sont arrivés dans notre collection en 1906. Il est clair qu'ils proviennent d'un contexte colonial. Nous voulons maintenant en savoir plus", souligne Andrea Kauer, directrice du Musée rhétique. L’institution va lancer un travail de recherche ces prochaines semaines pour mieux connaître les objets de sa collection.

À Genève, l'objectif sera aussi d'anticiper d'éventuelles demandes de restitution d'objets, même si le MEG n'a pour l'instant pas encore été confronté à cette question.

Des cas de restitutions complexes

Pour Yann Laville, codirecteur du Musée d’ethnographie de Neuchâtel, les questions sur la décolonisation doivent alimenter la pratique muséale au quotidien. "C’est aussi notre mission de mettre en place des rapports avec les populations autochtones, et de partager les savoirs avec les institutions sur place", analyse-t-il.

La question de la restitution des œuvres demeure cependant plus complexe. "Dans les cas de pillage avérés, il n’y a pas de discussion. Mais la réalité est plus ambiguë. Nous avons été sollicités par des organismes d’État australiens pour restituer des pièces aborigènes. Dans ce cas-là, on n’a pas de contact direct avec les populations d’origine et on peut questionner la représentativité d’un État qui, par ailleurs, ne respecte pas ses engagements face aux minorités autochtones".

Selon lui, la restitution est à évaluer au cas par cas. "Nous sommes en discussion concernant la restitution d’objets provenant du peuple amazonien Yucuna. Celui-ci est représenté par une ONG, ce qui permet un échange beaucoup plus horizontal. La demande s’inscrit dans une logique militante, où le patrimoine sert à porter des revendications politiques face au gouvernement brésilien."

Tambours à fente provenant du peuple Yukuna d'Amazonie colombienne. L'instrument figure parmi les objets qui sont en discussion pour une restitution. [Musée d'Ethnographie de Neuchâtel]
Tambours à fente provenant du peuple Yukuna d'Amazonie colombienne. L'instrument figure parmi les objets qui sont en discussion pour une restitution. [Musée d'Ethnographie de Neuchâtel]

Rétablir le récit historique

Mattia Ida, membre du collectif pour la Mémoire à Neuchâtel (à l’origine de la pétition pour le déboulonnage de la statue de David de Pury), juge que l’initiative de ces institutions est un bon début. "La décolonisation est importante pour rétablir une Histoire à 360 degrés. Les musées sont des lieux de culture et d’apprentissage et les connaissances partagées ne devraient pas être orientées mais impartiales."

Le collectif estime qu’il est primordial de tendre vers une restauration totale du patrimoine issu de l’histoire coloniale suisse, même si le processus est long. "Il faut aller plus loin en éduquant les jeunes générations, en restituant le récit historique dans sa globalité et en incluant les travaux non occidentaux sur la question."

Pour rappel, Cédric Wermuth, conseiller national socialiste, a déposé en décembre 2017 une motion pour rechercher sur le territoire suisse les objets datant de l'époque coloniale et les restituer à leur pays d'origine. Le texte a été rejeté en 2019 par le Conseil fédéral.

Sarah Jelassi

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