La plaignante suisse de l'affaire Ramadan est une mère de famille qui a la cinquantaine et qui s'est convertie à l'islam quand elle avait 16 ans. Dans les médias, elle est surnommée Brigitte.
En avril 2018, elle a déposé une plainte pénale pour viol à l'encontre de l'intellectuel genevois. En septembre de la même année, Tariq Ramadan a été prévenu de viol. Il conteste fermement les faits qui lui sont reprochés et qui remonteraient à 2008.
Le vendredi 16 octobre, au lendemain de sa confrontation avec Tariq Ramadan au tribunal de Paris, la plaignante a accepté de répondre longuement aux questions de la RTS.
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"Une excellente opinion"
En 2008, avant de le voir pour la première fois, Brigitte avait "une excellente opinion" de Tariq Ramadan. Elle était "en admiration devant lui" et le trouvait "super orateur". Elle était notamment touchée par le "Tariq Ramadan tiers-mondiste et humaniste".
La plaignante fait connaissance avec Tariq Ramadan lors d'une séance de dédicace. De fil en aiguille, ils commencent à avoir des échanges sur les réseaux sociaux. Tariq Ramadan lui propose de prendre un café dans un hôtel situé près de la gare Cornavin. Il loge dans cet établissement notamment parce qu'il doit enregistrer une émission pour la Télévision suisse romande le lendemain.
L'islamologue lui propose de boire un café la veille ou le jour de l'enregistrement de l'émission. Elle répond que la veille l'arrange mieux. Le rendez-vous est donc fixé pour le 28 octobre 2008.
Elle évoque une discussion d'une quarantaine de minutes dans la salle du petit-déjeuner de l'hôtel avant que le réceptionniste ne les invite à quitter la salle. Elle affirme qu'ils montent alors tous les deux "en bavardant dans la chambre".
Selon les informations de la RTS, Tariq Ramadan n'a pas livré la même version lors de son audition devant les magistrats instructeurs, en juillet 2020. Il a expliqué qu'ils se sont salués après avoir bu un café, qu'il est monté, seul, dans sa chambre et qu'elle a alors frappé à sa porte.
Le présumé viol
La plaignante confie que "tout va très vite" quand ils entrent dans la chambre. "Je pose le fer à repasser sur la table et lui se baisse pour brancher ou débrancher quelque chose. Quand il se redresse, il me pousse sur le lit et il me tombe dessus. Il commence à me frapper, à m'embrasser avec les dents, violemment", affirme-t-elle. Elle dit aussi que Tariq Ramadan l'"agresse sexuellement plusieurs fois" et qu'elle quitte la chambre vers 6h30 du matin.
Tariq Ramadan conteste avoir violé la plaignante et conteste aussi avoir eu un rapport sexuel consenti. Selon l'enquête de la RTS, il déclare avoir échangé quelques caresses et baisers avec elle pendant environ quinze minutes.
>> Voir le témoignage ci-dessus
Plainte après 9 ans
Le présumé viol a eu lieu en octobre 2008, mais la plaignante n'a déposé plainte qu'en avril 2018, soit plus de neuf ans plus tard. Elle explique qu'après le viol qu'elle dit avoir subi, il y a eu "le choc, l'incompréhension, le besoin de comprendre, la stupéfaction, la culpabilité, la peur". Elle fait état de la peur "des adeptes de Monsieur Ramadan" et assure avoir eu très peur pour elle, mais aussi pour sa famille et ses proches.
La plaignante a été confrontée deux fois à Tariq Ramadan devant les magistrats instructeurs, à Paris, la première fois en septembre et la seconde fois le jeudi 15 octobre. "Dans sa tête, on se dit de rester concentrée, de ne pas craquer, de ne pas se laisser faire", dit-elle, "de ne pas se laisser intimider parce que Monsieur Ramadan est très intimidant". Pour elle, la confrontation est "une épreuve", et elle a eu envie de "partir en courant".
Fabiano Citroni
Le rappel des faits
2 février 2018
Tariq Ramadan est mis en examen et placé en détention provisoire en France. Il est alors poursuivi pour deux viols commis dans ce pays.
13 avril 2018
La plaignante suisse porte plainte contre Tariq Ramadan pour contrainte, séquestration, contrainte sexuelle et viol avec cruauté pour des faits commis le 28 octobre 2008 dans un hôtel à Genève.
25 juillet 2018
La police genevoise rend son rapport après avoir entendu la plaignante et 8 autres personnes, et fait rechercher la présence de l’ADN de Tariq Ramadan sur des extensions capillaires remises par la plaignante.
7 septembre 2018
Le Ministère public genevois ouvre une instruction pénale contre Tariq Ramadan pour viol et contrainte sexuelle.
14 septembre 2018
Le Ministère public genevois décerne une commission rogatoire à la France, où Tariq Ramadan est alors détenu, pour l’auditionner en qualité de prévenu, en présence de la plaignante.
29 octobre 2018
Le procureur de la République de Paris accuse réception de la commission rogatoire, et précise qu’une copie du dossier lui est nécessaire.
15 novembre 2018
Tariq Ramadan est remis en liberté. Il est sous contrôle judiciaire. Il a notamment l’interdiction de quitter le territoire français.
21 décembre 2018
Le Ministère public genevois, en se référant à des contacts préalables, répond au procureur de la République de Paris, avoir convoqué Tariq Ramadan pour quatre audiences. Il lui demande, "comme convenu" de faire lever l’assignation à résidence afin que Tariq Ramadan puisse assister aux convocations à Genève.
22 janvier 2019
Le procureur de la République de Paris écrit au Ministère public genevois qu’une mainlevée du contrôle judiciaire de Tariq Ramadan n’est pas envisageable en raison du risque de soustraction de l’intéressé à la justice française. Il demande alors une copie du dossier afin de pouvoir organiser une confrontation, en France, entre la plaignante suisse et Tariq Ramadan.
29 janvier 2019
Les autorités françaises refusent de lever l’interdiction de quitter le territoire français de Tariq Ramadan.
22 mars 2019
Le Ministère public genevois envoie une copie du dossier au procureur de la République de Paris et lui demande quand aura lieu la confrontation entre la plaignante suisse et Tariq Ramadan.
16 juillet 2020
Tariq Ramadan, accompagné de ses avocats, est entendu à Paris dans le cadre de la plainte déposée contre lui en Suisse. L’audition est menée par des magistrats français en présence du procureur genevois en charge du dossier.
16 septembre 2020
Première confrontation entre Tariq Ramadan et la plaignante suisse, à Paris.
15 octobre 2020
Deuxième confrontation entre Tariq Ramadan et la plaignante suisse, à Paris.
16 octobre 2020
A la demande des autorités judiciaires suisses, une ordonnance de mainlevée provisoire du contrôle judiciaire de Tariq Ramadan est prononcée pour permettre au prévenu d’assister à des auditions en Suisse.