On l'annonçait, elle est là: la deuxième vague de coronavirus déferle sur la Suisse. Face à l'explosion des nouveaux cas de Covid-19, le Conseil fédéral a décidé dimanche de serrer la vis.Obligation du port du masque étendue dans tous les espaces clos, interdiction des rassemblements publics de plus de 15 personnes, restrictions pour les manifestations privées, télétravail recommandé: ces mesures ciblent-elles les principales causes de contamination?
Nous avons contacté l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) ainsi que l'ensemble des cantons romands pour connaître les lieux d'exposition au virus identifiés par les médecins et les hôpitaux ou les services cantonaux de traçage des contacts. Enseignement principal: après des mois de pandémie, on peine encore à savoir où et dans quelles circonstances les Suisses se contaminent.
Le lieu d'exposition, la grande inconnue
Les données de la Confédération, qui concernent l'ensemble de la Suisse, se fondent sur les déclarations médicales - souvent lacunaires, voire inexistantes - transmises par les médecins, les établissements hospitaliers et les laboratoires. Sur cette base, l'OFSP était mardi en mesure de connaître le lieu d'exposition pour moins de 20% des 29'000 tests positifs enregistrés durant les deux semaines précédentes.
Basés sur le traçage des contacts, les chiffres des cantons sont plus complets, mais restent très imparfaits. Dans le Jura, le lieu de contamination probable reste inconnu dans 60% à 70% des cas. Début octobre, Genève parvenait encore à tracer plus de 70% des cas. Mais avec l'aggravation de la situation, le canton a cessé de communiquer ses chiffres il y a deux semaines, tout comme le Valais.
Le cercle privé ou familial comme cause principale
L'analyse des données de l'OFSP montre clairement que le principal lieu de contamination, lorsqu'il est mentionné, se situe dans le cercle familial ou privé. Ainsi, 29% des cas positifs auraient été infectés par un membre de leur famille et 6% seraient la conséquence d'une fête privée, selon les 7940 déclarations médicales contenant des informations sur le lieu d'exposition probable au Covid-19.
Cette part tourne aussi autour des 30% dans les cantons romands. En Valais, 33% des cas positifs enregistrés du 28 septembre au 4 octobre seraient liés au "cercle familial/amical". La même semaine à Genève, un quart des contaminations auraient eu lieu "dans la famille ou sous le même toit" et 6% seraient intervenues "lors d'une fête ou une soirée privée". Les chiffres sont similaires dans le canton de Berne.
A Neuchâtel, la proportion semble encore plus élevée, avec 27% d'infections par les "proches" et 23% dans un environnement "social" (même si cette catégorie comprend aussi bien les fêtes privées que les sorties ou les activités sportives et associatives). Les autres cantons n'ont pas donné de chiffres précis, mais confirment que les principaux lieux d'exposition se trouvent dans le cercle privé ou familial.
Les pauses plus dangereuses que le travail
Même si elles sont moins fréquentes que dans le domaine privé, les contaminations dans le domaine professionnel représentent tout de même entre 10% (à Berne) et 14% des cas (à Genève). Plusieurs cantons affirment que les plans de protection mis en place dans les entreprises sont efficaces, mais que le point faible réside dans les activités extraprofessionnelles comme les pauses ou les repas.
Les autres lieux d'exposition sont moins souvent, voire beaucoup moins souvent, cités comme la raison probable d'une infection au Covid-19, si l'on en croit les services de traçage des cantons. On peut citer en vrac les sorties au restaurant, les activités sportives, les manifestations, les rassemblements spontanés ou encore les voyages à l'étranger, qui totalisent quelque pourcents des contaminations, selon les cantons.
Faiblesse des connaissances scientifiques
Alors, que valent ces données? Les scientifiques que nous avons contactés reconnaissent tous que les contaminations au sein de la famille sont fréquentes. Mais ils insistent aussi - surtout! - sur la faiblesse des connaissances scientifiques dans ce domaine. Il est en effet beaucoup plus aisé de déclarer avec certitude une contamination par un proche que par un inconnu, selon Julien Riou, épidémiologiste à l'Université de Berne.
"Quand on est contaminé par quelqu'un de sa famille, comme son père ou sa soeur, on va être capable de le savoir. Mais quand on l'est au stade ou dans le train, par exemple, on est contaminé par un inconnu. On ne saura donc pas que cette personne a été testée positive et on ne pourra pas dire aux autorités 'c'est la source de ma contamination'", explique Julien Riou.
Les épidémiologistes relèvent par ailleurs que même si une grande partie des contaminations survient dans le cadre familial, il est important de savoir comment le virus s'est introduit dans la famille. Et c'est là, souvent, que le bât blesse. Il est absolument essentiel, selon les experts, d'identifier les événements de propagation de masse à partir desquels le virus essaime.
"Le Conseil fédéral ne s'est pas trompé"
Interrogé sur la pertinence des mesures prises dimanche dernier par le gouvernement en regard des données sur les lieux de contamination, Alain Berset estime que "le Conseil fédéral ne s'est pas trompé". Les mesures, assure le ministre de la Santé, ne ratent pas leur cible. "La principale mesure - la plus difficile aussi d'ailleurs -, c'est la restriction dans le cadre privé", relève-t-il.
Pour rappel, le gouvernement a réglementé les manifestations privées de plus de 15 personnes, notamment en matière de port du masque. Il s'est cependant refusé à intervenir plus drastiquement dans la vie privée des Suisses, privilégiant une approche fédéraliste qui permet selon lui de tenir compte des situations locales différentes.
>> Lire : Le Conseil fédéral rend le masque obligatoire dans les espaces publics clos
Le Valais prend ses responsabilités
Nombre d'experts ont néanmoins regretté publiquement la réponse timorée de la Confédération face à l'explosion du nombre de cas. Le Valais, l'un des cantons les plus touchés, est lui allé beaucoup plus loin mercredi, interdisant notamment tout rassemblement de plus de dix personnes. "Le Valais montre qu'on peut prendre des mesures fortes mais aussi proportionnées pour tenter de reprendre le contrôle sur une situation qui est très difficile", a réagi Alain Berset.
>> Lire : Canton par canton, la liste des nouvelles mesures anti-Covid-19
Le ministre de la Santé explique rester en "contact étroit" avec les cantons. A ce titre, il a rencontré jeudi à Berne les directeurs cantonaux de la Santé. Lors de cette réunion, les cantons latins ont plaidé pour un durcissement et une harmonisation des mesures anti-Covid, sur la base du modèle valaisan, afin d'éviter un nouveau confinement. Mais aucune décision n'a été prise lors de cette rencontre.
Reste que le Conseil fédéral prépare déjà la population à un nouveau durcissement au niveau fédéral. Si la hausse exponentielle des contaminations n'est pas stoppée d'ici la semaine prochaine, Alain Berset assure que le gouvernement est prêt à prendre des mesures supplémentaires. Et il cite trois domaines: les établissements publics, les manifestations et les rassemblements de personnes.
Didier Kottelat