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Fermer totalement un secteur économique est supportable, juge Cédric Tille

Cédric Tille analyse les conséquences potentielles d'une deuxième vague sur l'économie (vidéo)
Cédric Tille analyse les conséquences potentielles d'une deuxième vague sur l'économie (vidéo) / La Matinale / 8 min. / le 21 octobre 2020
Fermer totalement un secteur économique, comme l'hôtellerie-restauration, pour lutter contre la pandémie serait supportable, estime le professeur d'économie Cédric Tille. Pour lui, des mesures fortes sont bénéfiques à long terme.

La deuxième vague de Covid-19 se révèle plus forte et plus rapide que prévu. Les contaminations ont doublé en une semaine et la courbe pourrait grimper. Les hôpitaux sont sous pression et certains cantons pourraient annoncer de nouvelles mesures. Des mesures qui auraient évidemment un impact économique, ce qui remet sur le devant de la scène l'opposition entre santé et économie.

Mais pour Cédric Tille, professeur d'économie à l'IHEID à Genève, il ne s'agit pas de préserver l'une au détriment de l'autre ou inversément. "Dans l'immédiat, il est évident que fermer une activité va pénaliser les emplois. Mais de nombreuses études regardent sur la durée et montrent que si l'on prend des mesures sanitaires assez rapides, au final, c'est plutôt bon pour l'économie", a-t-il nuancé mercredi dans La Matinale. "Ce n'est pas 'ou l'économie ou la santé': les deux sont plutôt complémentaires".

L'exemple du joggeur

Le professeur établit une analogie avec quelqu'un qui fait du "jogging" et se foule la cheville: il vaut mieux arrêter de courir complètement, bien se soigner et reprendre ensuite comme avant. "Si la personne se remet à courir trop vite, la cheville ne va pas se soigner et au final, ce sera encore pire". Cédric Tille reconnaît toutefois que des mesures rapides sont coûteuses dans l'immédiat.

En Suisse, un reconfinement de deux semaines est évoqué. "Ce sont des choix difficiles, mais si les autorités estiment qu'il faut passer par la case d'un confinement, autant qu'on le fasse vite et court", préconise Cédric Tille. La question des aides publiques sera toutefois très importante, car beaucoup d'entreprises seront moins à même d'absorber le coup qu'au printemps.

Aides à fonds perdus

Sur la première moitié de l'année, les secteurs qui ont le plus souffert sont, sans surprise, l'hôtellerie-restauration et les arts et spectacles, relève Cédric Tille. Si on ferme certains secteurs pour éviter des risques de foyers de contagion, il faut aider les entreprises, comme on l'a fait au printemps avec les prêts Covid ou le chômage partiel. "Dans une deuxième vague, des prêts garantis par la Confédération, qu'il faut rembourser, vont-ils suffire? Je n'en suis pas sûr. Il faut peut-être passer par des aides à fonds perdus, pourquoi pas?".

Et le professeur de noter que les secteurs hôtellerie-restauration et arts et spectacles "ne sont pas si grands". Le premier représente 2% du produit intérieur brut (PIB). "On peut très bien dire: 'On vous ferme pour le bien de la société, mais on compense'. Tout le monde bénéficie du gain sanitaire: même si moi je ne vais pas dans un bar, si mes collègues y vont et me contaminent, je vais en souffrir".

Fermer un secteur est supportable

L'hôtellerie-restauration, en termes de PIB, représente 12 milliards de francs par année, les arts et spectacles 4 milliards. "Ce serait donc le prix d'une fermeture pendant une année, en couvrant tout à 100%", explique Cédric Tille. Selon lui, même si ce serait un cas extrême, ce serait "tout à fait supportable". "En Suisse, nous avons des marges. Si ce n'est pas dans la situation actuelle qu'on va utiliser les marges des finances publiques, alors je me demande à quoi elles servent". Et de préciser que la dette de la Confédération peut se diluer sur 20 ans.

A ses yeux, on n'est pas dans une situation où l'on peut choisir entre une politique qui ne va rien coûter et une politique coûteuse. "Il faut un peu choisir son poison. Soit en s'endette en fermant des régions ou des secteurs, mais on compense, et avec ça, on arrive à casser l'épidémie. Soit on fait le service minimum, l'épidémie prend de l'ampleur et on se retrouve avec une énorme récession, car les gens commencent à avoir peur et s'auto-confinent d'une certaine manière, ce qui fait chuter les rentrées fiscales. Au final, je ne suis pas sûr qu'on soit mieux lotis".

Les coûts sanitaires et économiques

Quand on parle des coûts, on évoque souvent les décès, dont le nombre est actuellement relativement modéré par rapport au printemps. La courbe remonte maintenant. "Mais il faut aussi garder à l'esprit que les personnes qui guérissent peuvent avoir des séquelles, par exemple au niveau cognitif, avec des problèmes de concentration. Or si beaucoup de gens ont ces conséquences sur la durée, ça a aussi un coût économique. Le choix est donc beaucoup plus subtil que ce que l'on pourrait penser au premier abord", conclut le professeur d'économie.

Interview radio: Valérie Hauert

Adaptation web: Jean-Philippe Rutz

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