"Un canton, ça ne veut rien dire pour un virus. Il faut raisonner en termes de régions"
Croissance exponentielle des nouveaux cas, hôpitaux débordés qui doivent se réorganiser, nouvelles mesures parfois drastiques imposées par certains gouvernements... La deuxième vague de Covid-19, que beaucoup redoutaient, est bien là, relève Didier Pittet, infectiologue et épidémiologiste aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). "Cet été, les gens ont pris des vacances, pas le virus", ironise-t-il.
Invité de La Matinale, le Genevois, nommé à la tête de la mission indépendante française sur l'évaluation de la gestion de crise, déplore que les gestes barrières aient été quelque peu oubliés durant l'été. D'où une reprise progressive de l'épidémie partout en Europe, et en Suisse également.
Comportements des gens problématiques
"C’est la faute à tous", explique Didier Pittet. "A nous-mêmes, bien entendu, qui n'avons pas toujours respecté les gestes barrières, mais également aux autorités des pays qui n'ont pas cru à cette deuxième vague qui, pourtant, était prévisible". Selon lui, les campagnes n'ont par exemple pas été assez nombreuses pour faire comprendre qu'il était absolument primordial de changer ses habitudes, notamment sociales, pour endiguer l'épidémie.
Pour lui, donc, c'est bel et bien le comportement humain face à cette pandémie qui pose problème. "Le virus, lui, on commence à bien le connaître", assure-t-il. "On commence à savoir comment s'en prémunir".
Ce qui est beaucoup plus compliqué, c'est de changer le comportement des gens. "La science du changement du comportement humain, c’est une science qui est un peu compliquée", explique-t-il. Avant d'ajouter: "Avoir du gel ou un masque dans son sac, c'est bien. Encore faut-il s'en servir. Et correctement", détaille-t-il, tout en insistant sur le fait que, selon lui, la contrainte ne serait pas non plus la bonne solution pour obliger les gens à adopter certaines mesures.
Les problèmes du fédéralisme
Que pense le médecin, justement, des mesures drastiques que certains cantons ont prises, alors que la Confédération, elle, temporise? Selon lui, la notion de canton n'a plus aucune raison d'être lorsqu'il s'agit d'épidémie. "Un canton, qu’est-ce que cela veut dire pour un virus? A ce stade, on devrait plutôt parler de régions entières et non plus de cantons", avance-t-il. Un système qui fonctionnerait serait, d'après lui, un compromis entre fédéralisme à la suisse et centralisation à la française.
Un mini-confinement de deux semaines serait-il la solution? Non, répond Didier Pittet. D'après lui, il conviendrait plutôt d’imaginer réduire les activités dont on sait qu’elles sont à risque. "Je ne comprends pas pourquoi des discothèques sont encore ouvertes en Suisse. Car on sait que ce sont des lieux problématiques", déplore-t-il, tout en avançant l'exemple de Genève qui, cet été, a contraint, et à juste titre, la fermeture de ses clubs.
"On a pu déterminer que 60% des foyers au mois de juillet concernaient des lieux de loisirs, et en particulier les discothèques", rappelle-t-il. "On a aussi pu démontrer que les gens ne respectaient pas les consignes puisque 60 à 80% des numéros de téléphone donnés était faux." Ce qui posait de nombreux problèmes au niveau du traçage.
Pour Didier Pittet, le système fédéral suisse commence à révéler quelques failles. "Faire une épidémiologie fine ne semble aujourd'hui plus possible", insiste-t-il. Pour venir à bout de l'épidémie, "on doit maintenant en venir à des mesures plus horizontales, malheureusement".
Sujet radio: David Berger
Adaptation web: Fabien Grenon