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"C'est un combat de valeurs, pas un combat contre l'économie"

L'invité de La Matinale (vidéo) - Dick Marty, co-président du comité d'initiative multinationales responsables
L'invité de La Matinale (vidéo) - Dick Marty, co-président du comité d'initiative multinationales responsables / La Matinale / 10 min. / le 29 octobre 2020
Pour l'ancien conseiller aux Etats et co-président du comité d'initiative pour des multinationales responsables Dick Marty, l'acceptation du texte, "fondamental pour qui se soucie des droits de l'homme", ne causera pas de désertion de la Suisse par les entreprises.

L'ancien procureur du canton du Tessin Dick Marty, chargé de plusieurs enquêtes internationales dont celle sur l'affaire sur les prisons secrètes de la CIA, est en ce moment le visage de la campagne en faveur de l'initiative pour des entreprises responsables. Il ne ménage pas son énergie pour qu'elle s'impose dans les urnes.

"Peut-on vraiment continuer à bâtir notre bien-être sur des abus, sur des violations des droits de l'homme, sur le travail de gamins et sur des désastres environnementaux?", s'est-il insurgé jeudi au micro de La Matinale.

Peut-on vraiment continuer à bâtir notre bien-être sur des abus, sur des violations des droits de l'homme, sur le travail de gamins et sur des désastres environnementaux?

Dick Marty, ancien conseiller aux Etats et co-président du comité d'initiative pour des multinationales responsables

Aux yeux de celui qui fut ministre des Finances tessinois au début des années 90, le succès de l'initiative ne se fera pas nécessairement sur le dos de l'économie suisse. "C'est un combat de valeurs, pas un combat contre l'économie. C'est le contraire. Une économie qui a une tension éthique à sa base est une économie durable et qui a des perspectives", estime Dick Marty, qui ne craint pas d'être caricaturé en simple idéaliste et chantre de la bien-pensance: "Si être bien pensant, c'est se soucier des droits fondamentaux de la personne humaine, de l'environnement, alors oui, je suis un bien-pensant."

Lutter contre des zones de non-droit

Le développement des grands conglomérats aux quatre coins de la planète constitue pour lui un réel problème. "Ces grandes entreprises n'ont plus de véritables relations avec le territoire. Elles agissent au-delà des frontières, alors que la législation et la juridiction sont restées essentiellement nationales. Cela crée des zones de non-droit où on peut agir sans devoir répondre de ses propres actions", dénonce l'ancien procureur, qui nie toutefois mener une fronde généralisée contre ce milieu. "Nous ne prétendons nullement que la majorité des multinationales se comportent mal. C'est le contraire, c'est une minorité. Il est donc aussi dans l'intérêt de la majorité qui se comporte bien que cette minorité réponde des dommages à l'environnement ou de la violation des droits de l'homme."

Glencore a déjà déclaré qu'elle ne quitterait pas la Suisse. Il y a tellement d'avantages pour eux d'être en Suisse

Dick Marty

Pour Dick Marty, les arguments des opposants à l'initiative ne tiennent pas. Il ne pense pas, par exemple, que des entreprises quitteront la Suisse si l'initiative est acceptée. "Glencore a déjà déclaré qu'elle ne quitterait pas la Suisse. Il y a tellement d'avantages pour eux d'être en Suisse", cite-t-il en guise d'exemple. Il réfute aussi une éventuelle désertion par les multinationales des pays les plus pauvres, qui perdraient ainsi une source importante de revenus. "Cela ne les fera pas fuir. Elles ne quitteront pas les pays où se trouvent les ressources dont le monde a besoin! Le Congo a la plus grande richesse dans son sol. Croyez-vous que Vedanta (une entreprise minière) et d'autres entreprises vont quitter ces pays?", rétorque l'ancien élu PLR.

Pas de risques pour les PME

Pas de risques non plus, selon lui, de pénaliser des PME, qui pourraient se retrouver submergées par des procédures auxquelles elles n'auraient pas les moyens de faire face. "Aucune PME n'a été engluée dans un scandale dans des pays fragiles", constate Dick Marty. "On demande simplement que les entreprises fassent une analyse des risques qui sont liés à leurs activités et qu'elles prennent les mesures raisonnablement exigibles pour réduire ces risques."

Lorsqu'un membre du Conseil fédéral vous traite de néo-colonialiste, je trouve que c'est non seulement scandaleux mais tout à fait indigne

Dick Marty

Dans cette campagne, partisans et opposants s'accusent mutuellement d'avoir une attitude néocolonialiste en s'immisçant dans des problématiques qui touchent d'autres Etats. "L'initiative sous-entend que le système juridique de ces Etats est inférieur à celui de la Suisse. C'est un point de vue présomptueux et très colonialiste", a ainsi déclaré récemment la conseillère fédérale PLR Karin Keller-Sutter dans le Sonntagsblick.

Des propos qui font bondir le co-président du comité d'initiative: "Lorsqu'un membre du Conseil fédéral vous traite de néocolonialiste, je trouve que c'est non seulement scandaleux mais tout à fait indigne. Qui est-ce qui exploite les richesses et fait des milliards de bénéfices alors que la population locale vit dans la misère? Ce qu'on offre à ces gens, c'est simplement le droit d'ouvrir une procédure civile en Suisse. Rien d'autre. On n'intervient nullement dans l'ordre juridique de leur pays", défend Dick Marty.

Propos recueillis par David Berger

Adaptation web: Vincent Cherpillod

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