Florence Proton est secrétaire générale d'Attac Suisse, qui
organise chaque année "L'Autre Davos". Elle s'intéresse aux
questions internationales, en particulier celles relatives à l'OMC,
et coordonne régulièrement la parution du mensuel d'Attac, "Angles
d'Attac".
TXT: Le Forum social mondial (FSM), pendant
altermondialiste du Forum de Davos, n'aura pas lieu cette année.
N'est-ce pas un signe supplémentaire de l'essoufflement du
mouvement?
Florence Proton: Non, pas du tout. Une journée
mondiale d'action est prévue en lieu et place du FSM cette année.
Elle permettra de montrer la diversité des luttes et la vivacité du
mouvement altermondialiste dans le monde entier. Ce choix permettra
à nombre de militants altermondialistes, qui auparavant n'avaient
pas les moyens de se rendre au FSM, d'exprimer leurs critiques et
de réfléchir à des alternatives sur place, dans leur propre
pays.
Depuis quelques années, le WEF ouvre ses portes à la
société civile dans le cadre de l'Open Forum de Davos. Pourquoi n'y
participez-vous pas?
Il est exclu pour nous de rentrer en dialogue avec le WEF car le
rapport de force ne nous est pas positif. De plus, l'agenda et les
thématiques de l'Open Forum sont proposés, imposées par le WEF. Ca
ne nous intéresse pas de dialoguer avec des gens qui ne sont pas
prêts à le faire réellement.
Les thèmes de prédilection des altermondialistes
(réchauffement climatique, accès aux soins, lutte contre
pauvreté,...) ont pourtant un large écho dans les grandes réunions
comme le WEF. N'est-ce pas là un signe
d'ouverture?
J'ai surtout l'impression que c'est médiatique. Pour les élites,
c'est une façon de montrer qu'elles sont conscientes qu'il y a des
problèmes. Mais dans les faits, au niveau de leur politique, rien
n'a vraiment changé.
Mais n'y a-t-il selon vous aucune personne de bonne
volonté dans ces milieux? Je pense notamment à Bill Gates ou à
Warren Buffett, qui ont investi des dizaines de milliards dans des
fondations à visée humanitaire.
Encore une fois, leurs actions montrent que ces gens pensent avant
tout à leurs profits. Par exemple, si Bill Gates possède une
fondation, c'est essentiellement pour être défiscalisé. D'autre
part, leurs efforts sont mis à mal par les actions des nations
riches qui ne se soucient aucunement du Sud.
De même, les milieux économiques s'ouvrent de plus en
plus à l'environnement. N'y a-t-il pas là une chance à saisir pour
les altermondialistes?
Pour Attac, le combat de l'altermondialisme est global. Un
engagement en faveur de l'environnement doit selon nous être
combiné à d'autres avancées, notamment sociales, comme une
meilleure répartition des richesses. Actuellement, ce n'est pas du
tout le cas. Les richesses - celles issues des nouveaux marchés
environnementaux ne font pas exception - sont captées par une élite
économique. Par ailleurs, les faits démontrent que les grandes
entreprises ne sont pas prêtes à lâcher une part de leur marché
pour l'environnement. Tant que cette logique de profit sera celle
qui guidera les politiques économiques et commerciales, il n'y aura
pas de changement notable.
Beaucoup d'ONG et d'organisations (WWF, Greenpeace,
Oxfam,...) ont abandonné ce discours radical et collaborent avec le
WEF. Qu'en pensez-vous?
Certaines ONG estiment que leurs idées sont défendues par le
système. Quant à nous, nous considérons qu'il est nécessaire que
des mouvements conservent un regard plus critique. Il faut être à
l'extérieur du système pour pouvoir dénoncer, pour faire
contrepoids. Je n'ai pas du tout la prétention de dire qu'une autre
manière de faire est moins bonne, mais notre organisation s'est
toujours définie comme ça, et ça continuera!
Le mouvement altermondialiste proclame qu'"un autre
monde est possible". Mais encore faut-il traduire ce slogan en
propositions concrètes, ce qu'il n'a jamais réussi à faire
jusqu'ici.
Effectivement, les propositions ne sont pour l'instant pas très
claires ou portées unanimement par le mouvement. Il est en effet
plus facile de contester que de proposer des alternatives. C'est
d'autant plus difficile que nous faisons face à des politiques
extrêmement dures et portées par une majorité des élites
politico-économiques. De plus, l'hétérogénéité du mouvement nous
empêche de trouver aisément un consensus. Il nous faut du
temps.
L'Autre Davos se tient samedi 26 janvier. A côté de la
dénonciation du système, allez-vous présenter vos idées, votre
projet?
Oui, il y aura également une partie consacrée aux propositions.
Christian Felber, membre d'Attac Autriche, viendra par exemple
présenter son dernier livre, dans lequel il propose un catalogue de
cinquante alternatives.
A la base de la création d'Attac, il y a la volonté
d'instaurer une taxe sur les transactions financières (taxe Tobin),
que vous qualifiiez de grain de sable dans la machine de la
mondialisation. Le WEF ne serait-il pas le bon endroit pour plaider
en ce sens?
Non, car il est clair que ceux qui détiennent le pouvoir politique
et économique ne vont pas aller contre leurs intérêts. Notre
objectif reste bien entendu la création de la taxe Tobin.
Cependant, notre stratégie vise non pas à dialoguer avec le WEF
mais à construire un contre-pouvoir politique de masse. Le combat
serait selon nous perdu si nous arrêtions de dénoncer la
mondialisation ainsi que ses effets néfastes.
Propos recueillis par Didier Kottelat
L'Autre Davos, le forum anti-WEF
Les organisateurs de "L'autre Davos", le forum alternatif anti-WEF (Forum économique mondial) qui se déroule samedi à Zurich, attendent 500 participants.
Les participants sont invités à une croisière satirique à bord du navire de croisère "MS Néolibéralisme", ont indiqué mardi les organisateurs lors de la présentation de la manifestation.
C'est la 8e édition de ce forum alternatif anti-WEF qui s'inscrit dans le cadre du Forum social mondial (FSM).
"L'autre Davos" a pour objectif de renforcer la résistance à la globalisation du capital et de montrer "les autres solutions qui viennent d'en bas".
Plusieurs ateliers (justice fiscale, marchés financiers, politique alimentaire) figurent au programme de samedi.
Le soir, les participants pourront entendre des conférences des altermondialistes (Attac) Susan George et Christian Felber, de la syndicaliste (Unia) Rita Schiavi et du rapporteur des Nations Unies pour le droit à l'alimentation Jean Ziegler.
La manifestation organisée par Attac Suisse est soutenue notamment par le syndicat Unia, la Déclaration de Berne et le syndicat SSP.
Pour Attac, il est grottesque que les chantres de la globalisation viennent à Davos pour parler d'un monde meilleur alors qu'ils portent la responsabilité de la destruction de la planète.
Le "projet néolibéral" n'a concrétisé aucune des promesses faites lors de son lancement dans les années 1980, affirme l'association.
Aujourd'hui, 1,5 milliard d'êtres humains vivent avec moins d'un dollar par jour, 1,2 milliard n'ont pas accès à l'eau potable et 800 millions meurent de faim, précise-t-elle.