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"La Suisse ne veut pas de retard: c'est pour cela qu'il y a le contre-projet"

L'invitée de La Matinale (vidéo) - Karin Keller-Sutter, conseillère fédérale
L'invitée de La Matinale (vidéo) - Karin Keller-Sutter, conseillère fédérale / La Matinale / 11 min. / le 12 novembre 2020
Le 29 novembre, le peuple s'exprimera sur l'initiative populaire "Entreprises responsables – pour protéger l'être humain et l'environnement". Le Conseil fédéral, par la voix de Karin Keller-Sutter, défend le camp du non, considérant que le texte va trop loin.

Alors que le comité qui défend le texte est très vaste, avec des ONG, des politiciens de gauche et de droite ou des églises, Karin Keller-Sutter estime qu'il faut effectivement agir, jeudi dans La Matinale: "C'est la raison pour laquelle le Parlement a décidé d'un contre-projet. Il pourrait d'ailleurs entrer en vigueur tout de suite si l'on dit non à l'initiative. Ce contre-projet renonce justement aux éléments qu'on trouve particulièrement négatifs dans l'initiative, comme l'élargissement de la responsabilité à des tiers, l'inversion du fardeau de la preuve, ou le fait que les tribunaux suisses, de districts régionaux, devraient juger des affaires qui se sont produites à l'étranger, selon le droit suisse."

Le contre-projet ne permet par exemple pas de poursuivre au civil les entreprises, en Suisse. Un rapport annuel est demandé aux entreprises: n'est-ce pas une mesure trop légère pour convaincre la population? Karin Keller-Sutter explique que le Conseil fédéral propose une coordination au niveau européen: "On va reprendre dans le droit suisse les directives en place au niveau de l'Union européenne en ce qui concerne la Corporate social responsibility – la Responsabilité sociétale des entreprises. Et, de l'autre côté, les minerais de conflit: une directive qui entrera en vigueur l'année prochaine. De plus, nous voulons aussi prendre des mesures contre le travail des enfants."

Pour Karin Keller-Sutter, c'est efficace, car les mesures sont harmonisées: "Nous voulons travailler avec les autres et nous coordonner au niveau international. Par ailleurs, il est déjà possible, aujourd'hui, de déposer des plaintes", remarque-t-elle.

"Nous avons un droit de responsabilités qui est en vigueur, et il dit que chacun est responsable de ses actes. Là où les actes se produisent, selon le droit du lieu où les dégâts se produisent: cela veut dire qu'un dispositif juridique est en place. On ne veut pas l'élargir, car il a fait ses preuves. Parce que, justement en temps de crise – nous sommes en crise économique! – il garantit une sécurité de droit pour les entreprises suisses".

Protéger les PME

Dans l'œil des initiants, certaines multinationales basées en Suisse sont plus particulièrement visées. Notamment celles travaillant dans les matières premières, comme Glencore.

L'immense majorité des entreprises n'ont a priori rien à se reprocher, estiment les initiants. Le texte serait donc un bon moyen de remettre toutes celles situées en Suisse sur un pied égalité: "L'initiative ne parle pas de multinationales, ni dans le titre, ni dans le texte: l'initiative ne parle que d'entreprises", rétorque Karin Keller-Sutter.

"Bien sûr, dans la campagne, on met en exergue les multinationales, certains moutons noirs aux yeux des initiants. Mais de l'autre côté, le Conseil fédéral doit faire une appréciation globale et nous discutons ici d'une question qui touche potentiellement toutes les entreprises suisses: c'est un cadre juridique qu'on fixerait dans le droit de responsabilité. Ce serait un élargissement unique", souligne la conseillère fédérale. "Il n'y a aucun ordre juridique dans le monde qui prévoie une responsabilité pareille".

Le texte prévoit pourtant des exceptions pour les PME; le Parlement aura une marge de manœuvre dans l'application de la loi: "Le texte dit en effet qu'il faut tenir compte des PME qui présentent peu de risques. C'est-à-dire qu'il n'y a pas d'exception, estime la conseillère fédérale. "(...) Le risque n'est pas qu'une question de taille de l'entreprise. Vous pouvez avoir des PME qui, par exemple, sont actives à l'étranger – celles qui travaillent dans le textile, le commerce, ou des fabricants de chocolat. Ces PME achètent leurs matières premières en Afrique, par exemple, comme c'est le cas du cacao: elles doivent prouver et garantir toute leur chaîne de fournisseurs et de sous-traitants", explique l'élue.

Responsabilité des tiers

Karin Keller-Sutter précise: "Une entreprise doit aussi assumer la responsabilité pour des tiers. C'est-à-dire qu'on pourrait porter plainte contre une entreprise en Suisse, parce que des fautes ont été commises par des filiales indépendantes ou des fournisseurs économiquement dépendants: c'est le volet de la responsabilité".

Et d'expliquer qu'il existe également le volet de "l'obligation de diligence": "C'est toute la chaîne de fournisseurs – tout maillon d'approvisionnement – qui va être contrôlée par les entreprises concernées. Or, l'image idéale d'une entreprise n'ayant qu'un producteur ou un fournisseur à l'étranger, ça ne correspond pas à la réalité. Parfois, il y a des centaines, des milliers de fournisseurs. Garantir que chaque maillon d'approvisionnement n'ait aucune lésion des standards concernant la protection de la nature ou des droits humains, c'est quand même très compliqué. C'est une bureaucratie énorme! Les PME disent aussi ne pas pouvoir le garantir".

Selon Karin Keller-Sutter, les œuvres d'entraide ont le même discours: "Elles-mêmes disent que c'est impossible dans ces pays concernés – que ce soit en Afrique ou en Asie – de toujours tout empêcher, tout contrôler. C'est donc vraiment un très grand défi".

Le conseiller national Samuel Bendahan, pour sa part, a défendu l'initiative dans La Matinale du lundi 16 novembre.

>> Lire : Les entreprises concernées sont celles "qui ont une puissance phénoménale"

Interview radio: Julien Bangerter

Adaptation web: Stéphanie Jaquet

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