La Dépakine est un puissant antiépileptique très efficace. Mais lorsqu'il est pris lors d'une grossesse, il peut provoquer de graves malformations et d'importants troubles mentaux sur le fœtus. La famille d'un garçon né handicapé attaque donc le laboratoire Sanofi, fabricant de la Dépakine, ainsi que le médecin qui a prescrit le médicament.
A son arrivée au tribunal jeudi matin, Natascha Allenbach était tendue, mais aussi soulagée de pouvoir enfin raconter son histoire devant la justice.
"C'est une étape importante, au bout de quatre ans, enfin", confie-t-elle. C'est pour son fils Simon qu'elle et son mari sont là. Simon, 19 ans aujourd'hui, mais qui dès la naissance a vu les symptômes se multiplier, problèmes cardiaques, malformations de la colonne vertébrale et troubles neurologiques.
Pas informée sur la Dépakine
Natascha Allenbach n'en savait rien, elle n'a découvert les effets de la Dépakine qu'en 2016, par hasard. Elle témoignait à l'époque dans le 19h30: "C'est beaucoup de culpabilité de se dire qu'on a un enfant qui est malade à cause d'un médicament qu'on a pris, mais pourquoi est-ce qu'on ne m'a pas avertie?"
Quatre ans plus tard, des questions, toujours les mêmes: "Ils ne nous ont rien dit, ils auraient pu nous dire quand même. (…) en 2003 les médecins savaient. Pourquoi, nous, on n'a pas été mis au courant?" Et d'ajouter: "Il faut que les gens soient condamnés pour les actes qu'ils ont faits. On ne peut pas nous laisser comme ça, nous des parents, dans l'incompréhension, le déni et tout ça. Il faut que la justice soit faite."
Contactés, le médecin qui a prescrit la Dépakine ainsi que Sanofi n'ont pas souhaité répondre à la RTS, invoquant la procédure en cours. Par ailleurs, Sanofi s'est toujours défendu d'avoir commis des erreurs dans ce dossier.
L'enjeu: déterminer si la procédure a été ouverte trop tard
La justice doit déterminer si la famille a entamé sa procédure trop tard et si le délai de prescription est dépassé, ce que défend Sanofi. Ou si au contraire, ce délai de dix ans est trop court pour un handicap dont les parents n'ont pas eu les moyens de connaître la cause plus tôt.
Les avocats de la famille espèrent évidemment obtenir gain de cause, ce qui leur permettrait à terme d'attaquer Sanofi et le médecin pour déficit d'information sur les dangers de ce médicament et espérer une indemnisation. Mais les audiences successives prendront plusieurs mois, voire des années.
Des effets néfastes bien documentés
Les effets néfastes de la Dépakine sont bien documentés depuis le milieu des années 2000. Le médicament provoque dans 30 à 40% des cas des troubles du développement, dans environ 10% des cas des malformations congénitales.
Le cas du fils de Natascha date de 2001. Pas sûr donc que Sanofi et le corps médical puissent être mis en cause dans ce cas là. Mais il existe des exemples beaucoup plus récents. Les avocats de Natascha Allenbach représentent en tout une dizaine de familles en Suisse, qui espèrent réparation.
"L'enfant le plus jeune parmi les enfants que nous défendons est né en 2015", explique Lucile Bonaz, qui juge "assez incroyable qu'en 2015 encore on prescrive de la Dépakine à une femme enceinte."
Au moins une quarantaine d'enfants concernés
Mais combien sont-ils en Suisse ceux que l'on appelle les enfants Dépakine? L'an dernier, Swissmedic a rendu un premier rapport, faisant état d'une quarantaine d'enfants. Des chiffres largement sous-évalués selon plusieurs spécialistes.
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En France, ce sont plusieurs milliers d'enfants qui sont concernés. Et pour la première fois cet été, la justice a reconnu la responsabilité de l'Etat français, ainsi que celle de Sanofi, les condamnant à indemniser des familles d'enfants lourdement handicapés.
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Pour Natascha et les autres, le combat judiciaire sera long.
Gilles Clémençon/Céline Fontannaz/ebz