Cet Appenzellois a élevé ses deux filles seul après avoir perdu son épouse dans un accident, alors que ses enfants étaient âgés de deux et quatre ans. Il a alors bénéficié d'une rente de veuf.
En 2010 toutefois, après avoir constaté que la fille cadette de ce veuf allait atteindre la majorité, la caisse de compensation du canton d'Appenzell Rhodes-Extérieures a mis fin au paiement de sa rente de veuf.
Le motif invoqué est qu'il est un homme et qu'on peut donc attendre de lui qu’il réintègre le marché du travail une fois que ses enfants sont hors du nid, ce qui n’aurait pas été le cas pour une femme.
Opposition au nom du principe d'égalité
Ce père a alors formé opposition à la caisse de compensation en invoquant le principe de l’égalité entre l’homme et la femme prévu par la Constitution suisse, argument que la caisse de compensation a rejeté. Il a ensuite fait recours au Tribunal cantonal, mais son recours a été rejeté. Il a donc poursuivi ses démarches jusqu'au au Tribunal fédéral, qui l'a aussi débouté, en mai 2012.
Un détail piquant toutefois: le Tribunal cantonal avait relevé que le législateur était conscient de l’inégalité de traitement entre les veufs et les veuves au moment de rédiger et de réviser cet article de loi, puisque le droit à la rente de veuf a été introduit dans l'AVS en 1997. A ce moment-là, on a estimé qu'un veuf pouvait sans autres réintégrer le marché de l'emploi après avoir élevé ses enfants.
Les femmes, elles, ont droit à cette rente de veuve depuis 1948. Entre 1948 et 1997, les veufs eux, n'avaient pas droit à une rente au décès de leur épouse.
Victoire à Strasbourg
Au final, ce ressortissant d’Appenzell Rhodes-Extérieures a porté son cas jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Celle-ci a reconnu que par cette décision de suppression, la Suisse a violé deux articles de la Convention européenne des droits de l’homme: le droit au respect de la vie privée et familiale combiné à l’interdiction de discrimination. Parce que dans un cas similaire, une femme aurait continué de percevoir cette rente de veuvage.
Ce veuf avait cessé toute activité lucrative depuis plus de 16 ans et, au moment de l’arrêt du versement de la rente, il avait 57 ans. La Cour européenne ne voit pas pourquoi le requérant aurait eu à cet âge-là moins de difficultés à réintégrer le marché du travail qu’une femme dans une situation identique, ni pourquoi l’arrêt du versement de la rente l’aurait moins affecté qu’une veuve dans des circonstances comparables.
"Décision extrêmement satisfaisante"
"C'est une décision extrêmement satisfaisante, parce que le caractère discriminatoire de la disposition légale concernée est connu", a commenté Anne-Sylvie Dupont, avocate et professeure de droit de la sécurité sociale aux universités de Neuchâtel et Genève, interrogée mardi dans l'émission On en parle.
"C'est connu et critiqué depuis longtemps dans la doctrine et par certains milieux politiques. Mais chaque fois qu'on avance ce caractère discriminatoire, on nous répond: 'Mais finalement c'est normal, parce que l'homme a un pouvoir économique plus grand que la femme'."
Par cette décision de la Cour européenne, poursuit Anne-Sylvie Dupont, "non seulement le caractère discriminatoire est reconnu, mais la cour dit expressément qu'on ne peut plus partir du présupposé qu'un homme entretient économiquement une femme, y compris quand elle a des enfants".
Adapter la législation
L'arrêt n'est pas encore définitif, car le gouvernement du pays condamné a un délai de trois mois pour faire recours, explique la spécialiste. "Si l'arrêt devient définitif, la Suisse va devoir adapter sa législation, qui est illicite."
La question sera de savoir si la loi sera révisée en mettant les hommes au niveau des femmes, ou l'inverse. Des propositions déjà émises dans le cadre de la révision de l'AVS vont dans le sens d'adapter la rente de veuve à celle de veuf.
Sujet radio: Théo Chavaillaz
Adaptation web: Jean-Philippe Rutz